& foutenir une dépense disproportionnée à ses revenus. Elle auroit pu se marier à un honnête homme, & améliorer sa fortune par le moyen de celle qu'il lui auroit apportée. Elle fit tout le contraire, & qu'en arriva-t-il? Son Procureur lui demanda l'argent qu'il avoit avancé pour elle: & voyant qu'elle éroit hors d'état de le lui rembourser, il consentit de la prendre pour maîtresse. Lesbie, qui afpiroit à tant de titres, qui ne trouvoit aucun parti affez considérable pour elle, vieillit entre les bras d'un vil Procureur, qui lui reprochoit le pain qu'elle mangeoit, & qui la menaçoit à tout moment de la faire mettre en prifon. HISTOIRE XI V. Ce que peut une résolution généreuse, même dans les circonstances les plus critiques. LES habitants de Londres varient aurant que les différents lieux qu'ils fréquentent. Il y a plus de diversité entr'eux qu'entre les habitants des autres climats, Allez dans une compagnie, vous verrez les mêmes visages que dans toutes les autres; allez à l'église, vous les trouverez de même, mais vous ne verrez dans aucune compagnie ceux que vous avez vu à l'église, ni dans celle-ci, ceux que vous avez vu dans celle-là. Il en est de même du reste. Si vous allez aux jardins de Kensington, vous y trouverez une troupe de personnes qui prennent l'air; à Hydepark, vous rencontrerez des créarures du second ordre ; à Pall-mall du ⚫ troisieme, & ainsi de même dans tous les endroits situés entre le mail & Grays'inn. Chaque lieu a une compagnie qui lui est propres on n'y voit ni changement, ni 1 mélange. Un apprentif a autant de peine à trouver une maîtresse au parc ou dans le jardin, qu'un débauché une courtisane à Grays'inn. Ceux qui prennent du thé à Ranelagh durant l'été, ne ressemblent en rien à ceux qui mangent du bœuf & des gâteaux au fromage à Vauxhall. Florio avoit dîné avec quelques-uns de ses amis. Comme il étoit trop tard pour s'habiller, & qu'il ne pouvoit aller à Ranelagh, son rendez-vous ordinaire, avec la perruque qui avoit frotté pendant trois heures contre le dossier de fa chaise, il se rendit à Marybon. Le lieu lui plut, la musique le flatta, il y trouva très-bonne compagnie, & il fut ravi de se trouver pour la premiere fois dans un endroit où perfonne ne le connoissoit. Il y vit Daphné, ses manieres lui plurent, & il fut auffi frappé de la vivacité de ses yeux, que de l'esprit & de l'enjouement qu'elle faifoit paroître dans la conversation. Daphné, fille naturelle du Procureur dont j'ai parlé dans l'histoire précédente, étoit fort mal venue auprès de fon pere, depuis qu'il avoit pris Lesbie en qualité de femme de chambre. Les gens du plus bas étage font toujours tyranniques. II l'avoit regardée jusqu'alors avec indiffé Florio l'aborda, non point comme une > rinrent à cœur ouvert; il ne ménagea point les louanges, elle fourit, & répondit à ses compliments comme elle le devoit. II l'invita à fouper, elle se mit à rire de nouveau, & refusa son offre. Il la pressfa, & elle lui dit qu'elle rioit de fa méprise. Ce fût en vain qu'il l'assura qu'il n'avoit aucune mauvaise vûe fur elle. Elle étoit perfuadée du contraire, & elle se fut gré de l'avoir refufé. La nuit vint; il plût beaucoup, & la compagnie se retira. Elle voulut s'en aller, & Florioleur offrit fon carroffe. Elles le refuserent & il les accompagna à pied. La fille lui dit en foupirant qu'elle étoit fachée de ne pouvoir répondre à ses vûes. Ill'assura de nouveau de l'innocence de ses intentions; il lui dit avec toute l'éloquence, que l'amour a coutume d'inspirer qu'il n'avoit eu aucun dessein de l'offenfer, ni de rien exiger d'elle. >> Vous me pa>> roiffez lui-dit-il, mériter un meilleur >> fort. Je ne veux pas vous accompagner >> plus loin, de peur que vous ne me foup>> çonniez d'avoir de mauvaises vûes.. >> Obligez-moi, ajouta-t-il, de me donner >> votre adresse, sinon permettez que je >> vous donne la mienne, & ne la brûlez |