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>> avois d'abord connue, je n'aurois ja >> mais permis que vous m'euffiez sacrifié >> votre réputation, & je ne le souffrirai >> pas davantage.

"Je vous dois tout ce que je posséde, >> monsieur, lui répondit elle, & je n'oublie >> rai jamais les obligations que je vous ai. » Je suis aussi sensible à ma réputation » que les autres femmes, mais j'ai pu >> vous la sacrifier sans crime, & je fou>> haiterois qu'elle fût plus grande qu'elle >> ne l'est, pour qu'elle répondit davan» tage aux sentiments de reconnoiffance >> que vous m'avez inspirés. Je fais qu'elle >> pafle pour une chose sacrée, mais ç'au>> roit été un crime à moi de la confer>> ver aux dépens de vos plaisirs. A l'é >> gard de ce que la Religion me com>> mande, je suis résolue de l'observer à >> quelque prix que ce puisse être 5. Florio fut étonné du bon sens qu'elle faisoit paroître; il la respecta dès ce moment au tant qu'il l'avoit admirée; il résolut de rétablir ce caractere qu'elle avoit malheureusement perdu, & il devint plus circonfpect dans ses visites. Il se con-tenta de la recevoir chez lui en particulier: il fit courir le bruit qu'elle étoit fa Tome II.

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parente, & lui dit la maniere dont elle devoit se conduire. Ce n'est pas là tout ce que je veux faire pour vous, ajoutar-il, voyez si vous connoissez quelqu'un avec qui vous puiffiez être heureuse en qualité de femme, je contribuerai à vo

tre dot.

« J'ai été jusqu'ici pénétrée de vos >> bontés, lui répondit-elle, mais l'offre >> que vous ne faites, me confond telle» ment, que je manque de termes pour >> vous répondre. Je n'ai aucune vue basse >> ni ambitieuse dans ce que je vais avoir >> l'honneur de vous dire, mais vous êtes >> en droit d'exiger la vérité de moi, & >> je vais vous ouvrir mon cœur. Si une >> femme, que vous avez honorée de >> votre amitié, doit regarder les autres >> hommes avec mépris, à plus forte rai> son dois-je le faire, puisqu'indépendam>> ment de celle que vous me témoignez, >> j'ai encore plusieurs autres raisons pour >> vous être attachée. Je n'oserois vous >> faire cet aven, si je ne savois les obsta>> cles qui me séparent de vous; & com>> me ils font infurmontables, je ne crains >> point de vous dire que je ne faurois « donner à un autre cette même personne » à qui vous avez témoigné tant de bon» tés ». Florio tourna la tête, lorsqu'il l'entendit parler ainsi; mais s'étant un peu remis: "Je serois, lui dit-il, un in>> fâme, si je me prévalois de la déclara>> tion que vous venez de me faire, je >> vous en fais bon gré. Plusieurs raisons, >> qu'il est inutile de vous dire, m'empê>> chent de vous époufer. Je passerois ai>> sement sur la disproportion de notre. >> fortune. Votre franchise, votre géné>> rofité & votre vertu me charment, & >> je vous promets de ne rien faire à l'a>> venir qui puisse vous offenser. Je vous >> remercie d'avoir résisté jusqu'ici à ma >> folie ; fi jamais je retombe dans la mê>> me faute, appellez-la d'un nom plus >> odieux ; faites-moi souvenir que mon >> honneur est intéresse à vous tenir la >> parole que je vous ai donnée, & qu'y >> manquer, c'est me mettre au niveau > d'un homme de néant,».

Florio réfolut dès ce moment d'épouser celle dont il avoit empêché la ruine. Ce fut la feule chose qu'il lui cacha, & cela dans le dessein de voir fi elle ne fe démentiroit point. Il voulut s'assurer si le refpect & l'amour qu'elle lui témoignoit,

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étoient finceres, & fi l'intérêt n'y avoit aucune part. 11 fut la voir moins souvent chez elle; ses visites furent plus courtes, & il la reçut chez lui au vũ & au sû de rout le monde, afin de la rétablir dans l'esprit de ses voisins & de ses domeftiques. Comme il ne pouvoit encore la voir en public, il la menoit passer un jour avec lui à la campagne, & il revenoit le lendemain, de peur qu'on ne glofat sur son compte. Ils furent un jour se promener à un village qui estau-de-là de Windfor. Ils dinerent ensemble, & comme ils étoient à prendre le frais l'après midi, Florio lui montra une maison qui étoit à deux ou trois inilles de là. Elle avoit les yeux fixés d'un autre côté & elle changeoit à tout moment de couleur. A la fin ne pouvant plusse contenir: » Je vous demande par>> don, lui-dit-elle, de n'avoir pas fait at>> tention à ce que vous m'avez dit; mais il >> y a là une personne pour qui j'ai toujours >> eu beaucoup de vénération, & que je >> n'ai pas vue depuis quatre ans ». J'éfpe>> re, lui-dit Florio, que vous la conferve>> rez long-tems. Cette personne, Mademoiselle, eft mon pere; la maison que je >> vous montrois lui appartient, & m'ap

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>> partiendra un jour; je vous la montrois, >> parceque vous en ferez la maîtreffe. Je >> ne faurois comprendre ce qui peut l'a>> voir amené ici ». Ce que Florio venoit de lui dire fit une si grande impression sur elle, qu'elle tomba en défaillance. Le pere arriva dans le temps qu'il s'empressoit de la faire revenir. Ils étoient fi occupés qu'ils n'eurent pas le temps de se reconnoître. Après qu'elle eut repris ses sens, le pere ayant jetté les yeux fur Florio & fur la fille, s'écria: » Comment l'avez-vous >> trouvée? Où a-t-elle été ? Comment > a-t-elle su ce secret? Ils ne comprirent >> point d'abord ce qu'il vouloit dire, & ils le >> prierent tous deux de s'expliquer. Florio, >> répondit le pere, tout transporté hors >> de lui-même, si c'est le hazard qui a fait >> ceci, il a plus fait que votre prudence » & votre vertu. Vous voyez votre fœur»; Ces paroles furent pour eux un coup de foudre. Ils se jetterent tous deux à fes genoux; il les releva, & continua de leur parler en ces termes. >> Vous voyez une >> fœur ; vous me forcez à confeffer mon >> crime; mais puis-je appeller ainsi une >> chose dont elle est le fruit? Je l'avois >> fait élever en secret, dans le deffein

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