1 mieux appuyer ce qu'il venoit de dire, il demanda à fon ami s'il n'avoit pas besoin d'argent. La dame répondit à cela qu'il n'en avoit pas besoin tant qu'il feroit chez elle, & qu'elle se feroit un plaisir de lui en avancer. Le malade pria fon ami de fouiller dans sa poche, & de voir fi fon porte-feuille y étoit. Il l'ouvrit, & trouva dedans des billets pour la somme de sept cents livres sterling. L'ami prit congé de lui, & la dame ordonna à ses domestiques d'avoir soin de l'étranger, & de le traiter avec tous les égards qui étoient dus à sa naiffance. Markneal, de son côté, n'oublia pas la circonstance du ministre, & résolut de cultiver son amitié. Il demanda à lui parler. Il lui exposa la situation dangereufe dans laquelle il se trouvoit, & le pria de venir le voir le plus souvent qu'il pourroit. Le ministre fut charmé de sa probité, da soin qu'il avoit du salut de fon ame, & conçut pour lui une estime toute particuliere. Le bruit de cet accident s'étant répandu dans le pays, on ne parla par-tout que de la générosité des dames, & du bonheur qu'elles avoient eu de recevoir un aufli honnête homme chez elles. Le 21 濃 We Le ministre étoit intimement lié avec elles. Il leur vanta sa noblesse, sa probité, sa fortune & fa famille, & malheu reusement pour elles, mille circonftances concoururent à confirmet ce qu'il disoit. Plusieurs de ses amis vinrent exprès de Londres pour le voir, avec un train qui répondoit, à ce qu'on difoit, de fa naissance & de fa fortune. Il étoit impoffible que des villageois s'aperçussent de la superchérie: ils ne purent se perfuader que cinquante personnes s'accordaffent pour foutenir une fausseté; ils ne croyoient pas que des escrocs pussent avoir des haBits brodés, & quand même ils auroient eu quelque soupçon, la connoiffance qu'ils avoient de la fortune & de la probité de l'ami qu'il avoit à Windfor, l'auroit bientôt diffipé. Lorsque ses amis dé Londres se trouverent seuls avec lui, ils le féliciterent de ses heureux succès; ils le presserent d'accepter l'argent qu'ils lui offroient; ils lui conseillerent d'être gé néreux jusqu'à la prodigalité; en un mot de ne rien négliger de ce qui pouvoit concourir à fon dessein. Le ministre sentant l'avantage qu'il y auroit pour sa paroisse d'avoir un pareil Tome II: I habitant, fit part de ses idées au malade, à l'infçu des dames. Mackneal, lorsqu'il lui parla de la fortune & des bonnes qualités de Charlotte, ne douta point qu'il ne fût chargé de le faire, & feignit d'entrer dans ses vues. Il s'étendit beaucoup fur des charmes, que l'autre, qui n'étoit point amoureux, n'avoit jamais aperçus. Le miniftre voyant qu'il avoit reussi de ce côté, saisit la premiere occafion qui se présenta pour en parler à la dame. Elle lui répondit affez froidement qu'elle connoiffoit le mérite & les bonnes qualités de la personne que le hazard avoit conduit chez elle, mais qu'elle n'avoit point dessein de se marier. Le ton dont elle lui parla fut infiniment plus expressif que les paroles dont elle s'étoit servie. Le curé fut rendre compte au malade de ce qui se paffoit. Vous réuffirez peut-être mieux » que moi, lui dit il. La dame n'a point >> paru fachée de la proposition que je lui >> ai faite, & je vous conseille de tenter >> fortune vous-même. Mackneal ne pou>> voitrecevoir un rapport plus favorable. Il ne désespéra point de réuflir, s'il pouvoit obtenir la permiffion de faire sa cour à une dame qui avoit reçu une propofi : tion de mariage sans se fâcher. Il rit en lui-même de la réserve du ministre. Ce qu'on avoit dit de sa fortune étoit trop bien attesté, pour souffrir le moindre doute parmi des gens aussi simples que nos villageoises. Il avoit une figure aimable, & des manieres extrêmeinent engageantes, & peut-être toute autre femme que Charlotte n'auroit-elle point échapé au piége qu'il lui tendoit. Il est vrai qu'elle en fut moins redevable à fa prudence qu'au hazard. Son cœur étoit si fort rempli de fon idée favorite, qu'il n'y avoit plus de place pour d'autres. Mackneal, appuyé par son parti, & par un homme qui se faifoit un mérite de faire la fortune de fon compatriote par un menfonge, étoit au comble de fes espérances. Il guérit; il fut se promener dans les jardins, il mangeoit avec les dames, il les accompagnoit à l'église, & dans tous les endroits où elles alloient. S'il fe tut fur le principal point, ce fut pour mieux s'assurer du succès. L'ingénieur continuoit fa mine. Voyant que Charlotte le goûtoit, que le ministre prenoit • ses intérêts, & que le peuple qu'il avoit gagné par fes libéralités, parloit ouverte inent du mariage qu'il souhaitoit, il fe hazarda de lâcher quelques paroles fur ce sujet. La dame feignit de ne point l'entendre. Il interprêta son silence en fa faveur, & il s'expliqua plus ouvertement. Voyant que la dame ne l'écoutoit pas davantage, il en vint à une déclaration ouVerte. Charlotte le remercia de l'honneur qu'il lui faifoit; elle lui dit qu'elle connoiffoit tout l'avantage de fon offre, qu'elle avoit pour lui l'amitié & l'estime qu'il méritoit, & que fi elle avoit à se décider pour quelqu'un, ce seroit fûrement pour lui; mais, ajouta-t-elle, un autre objet (vous n'avez point de rival monfieur, continua-t-elle, car il est mort depuis long-temps) m'occupe entiereiment. C'est là un aveu que je crois devoir vous faire, pour répondre à la confiance dont vous m'honorez, mais je vous proteste que je ne consentirai jamais à me inarier. Je vous prie seulement de m'honorer de votre amitié, & de ne me plus parler fur ce sujer.. Il y avoit dans cette réponse un ton de franchise & de vérité qui ne lui permie point de douter que ce ne fût le vrai lan |