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pere répondit à la lettre. Il marqua à Mario que sa maîtresse l'avoit instruit de fa passion avant qu'il vînt le voir; qu'il lui savoit gré des moyens dont il s'étoit servi pour s'introduire chez lui; qu'il le louoit du filence qu'il avoit gardé dans le temps que ses prétentions auroient été criminelles & infâmes, & fur-tout de la méthode qu'il avoit employée pour mériter son estime. Il avoua qu'elle avoit tort d'affecter de l'indifférence. Il l'affura de fes bons offices, & le pria de venir le voir le plus souvent qu'il pourroit.

Depuis ce temps-là Mario fut reçu à bras ouverts par le pere & la mere. On feignit de croire que Lélie ne recevoit les visites que par complaisance pour fon pere, & à condition encore que fes parents feroient présents, & qu'il ne lui parleroit point d'amour. Lélie étoit réfolue de ne point le voir sur le pied d'amant, & même de ne jamais se remarier. Indépendamment de cette résolution, elle avoit une raison particuliere pour ne point le faire; mais peut-être poussoit-elle la délicatesse trop loin, vu qu'on ne pouvoit accuser son amant d'avoir manqué au défunt, ni d'avoir fourni matiere à ses

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soupçons; mais le point étoit délicat, & l'on ne fauroit dire qu'elle eût tort. Une femme qui lie amitié avec un homme de mérite, se trompe, fi elle croit pouvoir limiter son estime comme il lui plaît. En fournissant à Mario le moyen de se faire mieux connoître, elle lui fournissoit celui de lui plaire. En lui défendant de lui déclarer sa passion, elle lui fournissoit le plus fort de tous les arguments en sa faveur. Rien n'est si aisé à un bon cœur que l'office d'amie; rien n'est si difficile que le rôle d'amant, lorsqu'il a à faire à une personne clairvoyante. Ne dire que ce qu'il faut, c'est froideur; dire plus qu'il ne faut, c'est flatterie. Ne voir une maîtresse qu'avec les yeux dont tout le monde la voit, c'est trop peu; la voir dans un autre jour que les autres, c'est illufion. Elle craint de n'être point aimée de celui qui ne la trouve pas plus aimable qu'elle ne l'eft; elle craint que celui qui la trouve plus belle qu'elle ne l'eft, ne revienne de son erreur. Dans le premier cas, elle appréhende de manquer de ces charmes qui seuls peuvent faire le bonheur de leur union; & dans le second, elle croit ne le devoir qu'à un charme qui doit ceffer tôt ou tard. Elle fait qu'un objet perd une partie de fon mérite, à proportion qu'on le voit de plus près, & que lorsqu'on le possede, on ne s'en foucie plus du tout. C'est-là ce qui arrive par rapport à cette passion, & il n'est par consequent pas étonnant que les gens sages en craignent les suites. Il seroit peut-être à souhaiter/ qu'on eût égard à d'autres motifs dans la disposition générale des cœurs, ou, pour parler plus juste, que les hommes se mariaffent par raison, plutôt que par goût. Les inclinations varient infiniment plus que les visages, & il n'y en a aucune qui ne trouve à s'assortir avec une autre. Les plus nobles ne font admirées que de la multitude, puisqu'elle ne fauroit les admirer qu'elle ne les connoiffe: elles font donc faites pour elle, je veux dire qu'il faut qu'elles aient des charmes pour elle, puisqu'elle en fait cas; & quant aux autres, elles font le partage de ceux qui n'ont pas les yeux assez clairvoyants pour les découvrir.

Ce qu'on n'a jamais pu pratiquer dans le monde, eut lieu par rapport à cette aimable veuve. L'amour étoit tel qu'il devoit être du côté de l'homme, & il trou

yoit dans la femme toutes les vertus qu'il pouvoit defirer. Lélie n'envisagea jamais la passion. Il n'y a aucune différence entre le parfait ainour & la parfaite obéif fance. Mario, condamné au silence, parla, agit, pensa, comme si les ordres qu'elle lui avoit donnés eussent étouffé tous ses sentiments. Il étoit lié en qualité d'ami avec une femme à laquelle il defi roit de plaire; & sa conduite avoit pour une femme aussi vertueuse & auffi clairvoyante qu'elle, tout ce qui est capable de faire aimer un homme. Le dégoût que certains objets nous inspirent, diminue à mesure que nous nous familiarisons avec eux. Notre veuve s'accoutuma insensiblement à Mario. Heureusement pour lui, elle ne l'avoit point instruit de la cause de son aversion, & ce fut un bonheur pour elle qu'il ne s'en douta jamais. Si elle l'avoit avouée, elle n'auroit pu, fans se deshonorer, abandonner la résolution qu'elle avoit prise; & s'il l'avoit sue, il auroit été obligé de la combattre, ce qui n'auroit fervi qu'à la fortifier davantage. Il ne convenoit point à un amant de renouveller les larmes qu'elle avoit versées à l'occasion de la mort de fon

mari,

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mari, & c'étoit beaucoup que de le lui faire oublier.

Notre veuve, après avoir vu Mario fans répugnance, commença à l'honorer & à l'estimer. Elle fut sensible aux éloges que ses parents lui donnoient, elle étoit fâchée lorsqu'il ne venoit point à l'heure marquée; elle goûtoit les sentiments qu'il faifoit paroître dans la converfation, & approuvoit les actions qui en étoient la fuite. Elle accorda fon eftime à un homme qui n'osoit lui déclarer fon amour, & elle conçut pour lui une paflion qu'il ne s'étoit jamais flatté de lui inspirer. Voilà comment une femme d'efprit eft la dupe de fon cœur, & le perd. Le donner au hazard, c'est folie; l'accorder à qui le mérite, c'est sagesse. Mario, qui n'avoit ofé folliciter ce qu'il defiroit, eut de la peine à croire ce qu'il voyoit. Cette aimable créature s'aperçut de fa foiblesse, elle la découvrit par quantité de paroles qui lui échaperent; le pere & la mere triomphoient; l'amant étoit le seul qui feignit de ne point s'en apercevoir. La modestie de fon amant acheva de ferrer les chaînes que fon mérite lui avoit données. Elle ne pouvoit

"Tome II.

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