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& l'on se brouille, lorsqu'il est question de rompre avec le reste. Les hommes & les femmes ont trop d'orgueil, pour s'en tenir simplement aux plaintes; on voit bien qu'il faut que quelqu'un ait tort, mais personne ne veut convenir qu'il foit de fon côté.

Sellius, le patron de Mackneal étoit garçon, il est aifé de comprendre la vie qu'il menoit. Sa fortune lui donnoit entrée par-tout, & fes bonnes manieres le. faifoient aimer de tout le monde. Il paffoit quarante ans, & il avoit une petite intrigue secrette, qui lui rendoit le ma riage moins nécessaire qu'il ne l'auroit été fans cela; mais quoique Sellius ne fur pas d'un âge à se passionner pour une femine, ni affez généreux pour contribuer à fon bonheur, en partageant fa fortune avec elle, il s'en falloit cependant beaucoup qu'il eût de la répugnance pour le mariage. S'il eût pu s'introduire dans la maison de Charlotte, il se feroit fûrement bien gardé de s'intéresser pour Mackneal; mais encore qu'il n'eût pu réuffir à le faire, il ne laissoit pas d'être bien reçu dans la plupart des maisons des environs. Windsor n'a jamais manqué de

riches veuves; il y en avoit beaucoup dans ce temps là, & Sellius les fréquentoit toutes. Les hommes regardent pour l'ordinaire le mariage comme une affaire peu importante, & les femmes ont leurs raisons pour ne point leur en savoir mauvais gré. Pendant que l'amant use du pri vilége qu'il a de fecouer fon joug, la maî treffe s'arroge le même droit, & tous deux perfuadés qu'ils peuvent trouver leur intérêt à changer, profitent avec empressement des circonstances qui les mettent en état de pouvoir le faire fans re proche.

Parmi les femmes que Sellius fréquen roit, la principale quant au rang, je veux! dire, à la fortune, car c'est par-là qu'un homme juge du mérite d'une femme qu'il n'aime point, étoit Méroé ; elle étoit de même âge & du même caractere. On a toujours observé que c'est cette circonftance qui nous décide, & il n'y a pas de plus forte preuve de l'aveuglement où nous sommes par rapport à nos défauts.: Il faut être bien épris de foi-même, pour vouloir qu'un autre nous ressemble, & bien aveugle pour ne pas craindre de la part d'une personne aulli rufée que nous,

les mêmes maux que nous cherchons à lui faire. La source de cette infatuation ⚫ n'est pas aussi cachée qu'on le pense. La nature nous l'a peut-être donnée comme un frein qui nous empêche de mal faire, & qui réprime nos mauvaises intentions.

Méroé joignoit à beaucoup de pru dence une grande connoissance du monde. Si Sellius l'avoit suivie de près, il se seroit aperçu qu'elle étoit pour le moins aussi rusée & & aufli diffimulée que lui. Il le savoit, mais il ne prévit point quelles seroient les suites de ces vices. Comme elle les avoit, elle ne douta point que Sellius ne les eût aussi, & ce fut là-dessus qu'elle forma son plan, de même qu'il avoit formé le sien. Si Sellius témoignoit de l'empressement pour quelque femme, Méroé n'y faisoit aucune attention, persuadée qu'elle étoit la senle qui possédât son cœur. Si Méroé recevoit chez elle ceux qui passoient pour avoir le plus de bien dans le pays, & écoutoit leurs déclarations, Sellius, qui connoiffoit sa supériorité, se moquoit d'eux, & s'imaginoit qu'elle les lui sacrifioit dans le fond de fon cœur.

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Ils se rencontrerent dans une compa

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gnie, & ils prirent du goût l'un pour Pautre. L'amant eut la complaisance de perdre au jeu, pour lui faire croire qu'il n'étoit attentif qu'à elle; & la dame supporta patieminent les imprécations de fon affociée, pour lui perfuader la même chose. L'amant lui demanda la permiffion de l'aller voir, & la dame lui fut mauvais gré d'avoir cru que sa visite ne lui feroit pas agréable. Il se rendit chez elle de très-bonne heure, & elle le reçut avec des égards dont sa vanité eut lieu d'être flattée. Comme elle étoit prévenue de sa visite, elle le reçut tête à tête; ils parlerent d'amour, & ils trouverent que leurs idées fur ce sujet, étoient entierement conformes. "Vous me ferez.

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la justice de croire, lui dit Sellius en >> la quittant, & en pouffant un profond >> foupir, que ce font-la les vrais senti>>ments de mon cœur, & que vous en » êtes l'objet ». « J'aurois tort, reprit

elle en fouriant, d'en douter, & je me >> ferois injuftice à moi-même ». Ils se séparerent parfaitement fatisfaits l'un de Pautre

La dame avoit en soin de s'informer de la fortune de Sellius, & on la lui fit trois fois plus grande qu'elle ne l'étoit. Cela lui valut un accueil trois fois plus "honnête qu'il ne l'auroit reçu sans cela, & la dame, quoique convaincue qu'elle n'étoit point telle qu'on la disoit, ne put s'imaginer qu'elle ne fût pas plus confidérable. Sellius pensa de même au sujet de la fienne.

Ils se tromperent réciproquement fur cet article, de même que fur plusieurs autres. On ne vit jamais deux personnes plus rufées, ni moins foupçonneuses, quoique toutes le présomptions fuffent contre elles. Sellius avoua publiquement que Méroé étoit la plus belle femme qu'il eût jamais vue. Méroé, de son côté, con fessa qu'elle n'avoit jamais connu d'homme plus accompli que Sellius: Sellius affecta une tendreffe extraordinaire pour sa maîtreffe, & celle-ci feignit pour lui une paflion qu'elle ne sentoit point. L'un s'efforçoit de faire paroître fes transports, & l'autre fa reconnoissance. Toutes les fois qu'ils se rencontroient, ils foupiroient, ils se lorgnoient, ils fe faifoient mille compliments extravagants. L'amant ferroit la main de sa maîtreffe, & celle-ci rougiffoit de fon triomphe. Cha

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