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cun paroissoit faché que la fortune de l'autre l'empêchât de faire un acte de générofité, & de prouver son désintéresse

ment.

C'est ainsi que nos deux amants se jouoient réciproquement; tel étoit leur langage lorsqu'ils étoient, ensemble. Etoient-ils séparés, Sellius regardoit Méroé comme la femme la plusriche qu'il connût, comme une femme qui lui étoit extrêment attachée, & dont la fortune ne pouvoit que contribuer à améliorer la fienne. Méroé trouvoit dans les manieres de Sellius une certaine fatuité qui lui déplaifoit, mais cela ne l'empêchoit pas de J'aimer. Elle regardoit fon mariage avec lui, comme un mariage de prudence, qui fans la rendre heureuse, contribueroit beaucoup à fon bien-être. Telles étoient les résolutions, tels étoient les sentiments de nos deux amants. Ils ne tarderent point à s'apercevoir qu'ils s'étoient trompés tous deux. Ils n'osoient s'informer de leur fortune, prévoyant bien qu'il y auroit du rabais, & peut-être ne l'auroient-ils jamais fue fans une petite pique qui survint entr'eux. L'homme eft naturellement orgueilleux dans la profpérité, & Sellius devoit l'être plus qu'un autre, parce qu'il étoit fat. Il ne put s'empêcher de railler sa femme de la tendresse qu'elle lui témoignoit. Il lui die qu'elle ne convenoit ni à fon âge, ni à son caractere; qu'on pouvoit la pardonner pendant les premiers jours du mariage; qu'il s'étoiť prêté à cette farce, pour fe conformer à l'usage, mais qu'il étoit temps de la faire cessfer; qu'il l'estimeroit & la respecteroit toujours comme une femme sensée & remplie d'honneur; mais qu'il la prioit de vouloir s'épargner des complaisances qui n'étoient point fondées dans la nature.

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Elle fut indignée de cette déclaration; le fang froid avec lequel il la lui avoit faite, lui ayant donné le temps de revenir de fa premiere surprise, le mépris fuccéda à la colere, & elle lui dit d'un ton inoqueur, qu'elle le remercioit de l'avoir mise à même de ne plus diffimuler, vữ qu'il lui en coutoit beaucoup pour le faire. Qu'elle répondroit aux sentiments d'ami tié & d'estime qu'il lui témoignoit; qu'elle n'oublieroit jamais la fortune dont elle lui étoit redevable, mais qu'à l'égard des empressements & de la tendresse qu'elle lut avoit

avoit témoignée; ils n'étoient que l'effet de cette même dissimulation dontil avoit usé à fon égard. Qu'elle le regardoit comme un très-honnête homme, & qu'elle ne doutoit point qu'elle ne pût vivre heureuse avec lui; mais que quant à sa personne & à ses qualités, il n'y avoit pas un homme parmi ceux qui recherchoient fon alliance qui ne valût infiniment plus que lui. Un pareil compliment n'étoit sûrement point dicté par la prudence, mais il n'en méritoit pas d'autre. Le mari fut moins outré du mépris qu'elle lui témoignoit, que du remerciment qu'elle lui avoit fait d'avoir amélioré sa fortune. Ils examinerent l'état de leurs affaires, & tous deux furent également furpris de voir qu'ils n'avoient à cer égard aucun avantage l'un sur l'autre.

On ne fauroit concevoir quel fut l'étonnement de notre héros & de notre héroïne. Ils eurent tort de croire qu'ils pufsent s'estimer, après la diffimulation dont ils avoient usé tous les deux. Il ne suffit pas pour inspirer de l'estime, d'avoir la prudence & les autres bonnes qualités que ces deux personnes possédoient; il faut encore de la vertu. Le mari & la femme se mépriserent; ils en vinrent à l'indif Tome II.

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férence, & de celle-ci aux reproches. Le mari prit publiquement une maîtresse; & l'on fut bientôt que ce mariage n'avoit pas éré auffi heureux qu'on se l'étoit d'abord figuré.

: Les crimes & les débauches d'un mari font souvent la cause de celles de la femme. La dame ne tarda par à suivre l'exemple du fien. Elle cominença par le mépriser, & finit par lui être infidelle. Elle se perdit de reputation, pour se venger d'un homme qu'elle haïffoit; & fon animosité alla fi loin, qu'elle ne garda aucune mesure. Les femmes ne voulurent plus la fréquenter. Il ne fut pas difficile au mari de prouver ce qu'elle prenoit si peu de peine de cacher, & ils se séparerent.

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HISTOIRE XVII.

L'honneur & la probité ne fervent de rien
Sans la prudence.

Le monde feroit heureux si les hommes
vouloient profiter de l'exemple d'autrui,
& fe corriger de leurs fautes, en refléchif-
fant fur les malheurs qu'elles ontattirés à
leurs semblables; mais c'est une chose
qu'on doit plutôt defirer qu'attendre, &
il n'y a pas lieu de croire qu'ils le fassent
jamais. Le mari de celle dont le divorce a
terminé l'histoire précédente, avoit ur
neveu du côté de fon cadet, lequel avoit
hérité de toutes ses vertus. C'est une er-
reur de croire que les enfants héritent des
vertus & du caractere de leurs peres. On
en voit à la vérité qui possédent leurs bon-
nes & leurs mauvaises qualités; mais cette
ressemblance vient bien moins de leurs
vices, que de l'exemple qu'ils leur ont
donné.

Amoris, neveu de l'homme d'intrigue dont j'ai parlé ci-dessus, avoit en lui & non dans son parent, ce modele d'excel

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