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lence qui lui servit de guide pendant tout le cours de sa vie. Son pere exerçoit le commerce dans la ville de Cork, & avoit épousé une jeune femme sans bien, qui lui donna onze enfants pour preuve de fon affection conjugale. Le commerce étoit la seule profession qui convînt à un cadet, mais ce grand nombre d'enfans l'effraya, & éteignit en lui cet esprit d'industrie qui auroit du l'animer. Son aîné voulut fe charger de l'éducation d'un de ses enfants, & il jetta les yeux fur Amoris, dans le dessein de l'envoyer dans les pays étrangers, & de contribuer à sa fortune.

Il avoit alors neuf ans, il lui donna un précepteur jusqu'à l'âge de dix-sept. Comme la jeunesse est extrêmement imitative, Amoris ne tarda pas à prendre les manières de fon oncle. Le Gouverneur, qu'il lui donna dans la suite, ayant été élevé dans une Université avec deux jeunes gens de qualité, n'eut pas de peine à achever le plan d'éducation qu'on avoit commencé.

Lorsqu'il eût atteint l'âge de dix-sept ans, l'oncle l'envoya au Temple, pour y faire fon cours de Droit. Il lui affigna une penfion honnête qui le mit en état de

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fréquenter la bonne compagnie. Il fit fom unique étude des Gazettes, il s'erigea en juge des poëmes & des piéces de théâtre, & ne pensa pas plus aux Loix que s'il n'y en avoit jamais eu. Amoris étoit celui qui se diftinguoit le plus parmi les étudiants; il étoit toujours le premier au cabaret; c'étoit lui qui décidoit des piéces de théâtre, & qui leur inspiroit du goût pour les modes. On prétend même que ce fut lui qui inventa les Cadogans, ces fouliers dont la boucle est sur les orteils, & ces habits dont les poches ne font éloignées que d'un pouce de la chemise, & dont le Lord Foppington nous a donné le modele dans une de nos Comédies..

Il est permis aux gens d'esprit de s'amuser de ces bagatelles, pourvu qu'ils ne s'en occupent pas entiérement. Notre jeune héros avoit l'ame trop grande pour en faire sa principale étude. Il commença à réfléchir sur le genre de vie qu'il lui convenoit d'embrasser; il se sentoit des talens, & il ne fut plus embarassé que du choix. + Le Barreau lui parut la route la plus propre pour s'avancer. Il ne put imaginer qu'un homme, qui avoit figuré à l'enseigne du Roi George, qui avoit décidé

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d'une farce de Garrick, qui avoit disputé avec l'Orateur de Clare Market, & qui avoit harangué à Robin-vood, ne furpaflat tous ses concurrents dans une pareille profeffion; mais les progrès en étoient fort lents; il abhorroit tout ce qui exigeoit des foins & de la peine, & il réfolur de faire fortune à moins de frais. Il se rappella le plan de vie que son oncle avoit suivi; il comprit que tout se réduisoit à épouser une femme riche; il se regarda dans un miroir, il prit son plus bel habit, il examina comme Milon de Crotone ses mains & fes dents, il fit une cabriole, & commença à faire les yeux doux à toutes les vieilles femmes qu'il eut occafion de connoître.

L'oncle étoit encore garçon lorsqu'Amoris résolut de chercher une femme.Sonfutur mariage ne lui fit point perdre son premier. projet de vûe, car il y avoit long-tems qu'il l'avoit oublié. Amoris jouiffoit de tous les avantages de cette situation flateuse; il employa tous les moyens nécessaires pour en profiter. L'oncle avoit jetté les yeux fur les vieilles & les laides; le neveu, plusardent dans ses prétentions foupiroit après une autre conquête, Pendant

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que l'oncle s'informoit à la porte d'une maison, qui étoit la veuve à qui appartenoit un carrosse qu'il voyoit, le neveu devenoit amoureux de la premiere beauté qu'il trouvoit à Ranelagh, & s'informoit enfuite de fa fortune. La Déesse bienfaifante qui dirige ce concours d'accidents auquel nous donnons le nom de hazard s'intéresse plus aux hommes qu'on ne se l'imagine. La beauté & les richesses paroissent être les deux plus grands biens qui puissent écheoir à une femme, & il eft rare qu'elle les accorde à la même perfonne. Amoris s'en convainquit par fa propre expérience; mais ne faisant aucune attention à la disposition générale des choses, il persista dans la même conduite, fans se rebuter des contre-temps qu'il avoit éprouvés. Toutes ses bonnes fortunes dans ces fortes d'endroits se réduisoient à une cœillade, à un soupir qu'il pouffoir, lorfqu'il voyoit passer l'objet de fon adoration. Il s'informoit qui elle étoit, jusqu'à ce qu'il trouvât quelqu'un qui le lui dit; il lui écrivoit alors pour lui donner avis de la conquête qu'elle avoit faite ; & la belle qui le croyoit plus riche qu'il n'étoit, ne manquoit pas de fe trouver le lendemainà

l'assemblée, & de lui témoigner plus d'égards.

Ce n'étoit point seulement en public qu'Amoris méditoit des conquêtes; il étoit bien accueilli par-tout, & il n'échoua qu'auprès de deux ou trois femmes qui jouissoient d'une fortune immense; quant aux autres, il n'en trouvoit aucune dans une assemblée à qui il ne fit sa cour. * Il étoit aisé à un jeune homme de sa naiffance de s'introduire où il vouloit. Il ne se présentoit nulle part qu'on ne le reçût. Il étoit affidu auprès de toutes les femmes qui paffoient pour avoir de la beauté, ou du bien; il vouloit pousser sa fortune à quelque prix que ce fût, & ce fut la raison qui l'empêcha de la faire. L'oncle ayant appris le bon accueil qu'on lui faifoit, se fit un plaisir de le seconder. Tous les Irlandois ont du penchant à épouser une femme riche. C'est la maladie nationale, & elle est aussi générale en Irlande, que le scorbut en Angleterre, & le gouĉtre parmi les habitants des Alpes. C'est là ce qui anime les jeunes gens & les vieillards, les riches & les pauvres, les gens d'esprit & les idiots, & tous s'empressent réciproquement à se seconder pour obtenir un bien aussi défirable en lui-même.

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