servit à subsister. En un mot, le galant, le splendide Amoris, autrefois les délices des femmes, & l'envie des hommes, qui faisoit l'ornement de toutes les compagnies où il alloit, fut réduit à passer le refte de ses jours dans l'étude poudreuse d'un Procureur, trop heureux encore de trouver cette ressource pour ne point mourir de faim. HISTOIRE XVIII. Du pouvoir de l'exemple. LE fort d'une famille entiere dépend souvent de celui d'une des personnes qui la composent. Ce fut ce qui arriva à celle de la femme du malheureux Amoris. Cette dame avoit une sœur cadette qui ne lui cédoit en rien du côté des charmes. Leur mere étoit la veuve d'un ministre beaucoup plus distingué par sa piété, que par son économie. Il est étonnant que des hommes qui prêchent la vertu avec tant d'emphase, qui la pratiquent fi exactement dans d'autres points, ignorent ce quils doivent à ceux qui leur font unis par les liens du sang; mais il n'est pas rare de voir la femme & les enfants d'un homine, que tout le monde respectoit, réduits à la misere après sa mort, quoique rien ne lui eût été plus aisé que de pourvoir à leurs besoins, s'il avoit voulu seulement se donner la peine de les prévoir. 1 1 Le rang que la veuve tenoit dans le monde, lui avoit procuré quantité de connoiffances, & plusieurs continuerent de la fréquenter. Elle obtint par leur entremise la pension qu'on a affignée aux veuves des ministres, & qui est de quatre livres sterling par an; ce petit fecours joint à ce qu'elle gagnoit par son travail, la mit en état de subsister d'une maniere honnête. Il y a peu de familles dans la ville dont on ne sache les affaires. On n'ignoroit point la situation de celle dont je parle, & il n'y avoit personne qui ne l'estunât, & qui n'eût pitié de fon fort. Les filles étoient trop aimables pour refter inconnues. Tout le monde parloir d'elles, tous les petits maîtres les lorgnoient & leur disoient quelques douceurs par-tout où ils les rencontroient. Les honnêtes gens, qui connoissfoient leur situation & leur mérite, trembloient pour elles, à caufe des tentations auxquelles elles étoient posées. La plupart des filles affectent pour l'ordinaire de se faire remarquer par la fingularité de leurs ajustements. Celles dont je parle, ayant fucé avec le lait tous les bons principes de la mere, comprirent ex qu'il ne leur convenoit point de se singu larifer, & fe contenterent d'être vêtues d'une maniere simple & honnête. La mere les accompagnoit par-tout, & quoiqu'elles euffent un grand nombre de foupirans, il n'y en avoit cependant aucun qui ofât leur déclarer sa passion, tant leur modestie, & la présence de la mere leur inspiroient de respect. Tout le monde avoit les yeux fur elles, -& elles devoient être d'autant plus en garde contre la premiere offre qu'on leur faifoit, que c'étoit d'elle que dépendoit leur réputation. Les femmes ne font pas toujours affez d'attention à cet article, & peut-être n'en fentirent-elles pas toute l'importance, mais leur vertu suppléa à ce qui pouvoit leur manquer du côté de la prudence. La mere auroit mieux aimé périr mille fois, plutôt que de souffrir que ses filles fiffent la moindre fausse démarche. Ce n'étoit pas seulement la nature de l'offre, mais encore le caractere de celui qui la faisoit, qui pouvoit caractériser leur conduite. Les succès d'Amoris avoient fait tant de bruit dans le monde, que quantité de jeunes gens, encouragé par fon : son exemple, avoient ofé faire des dé clarations à l'autre sœur. La veuve s'aperçut que ses filles se laissoient éblouir par la fortune qu'on leur faisoit efpérer, elle prévit le danger dont elles étoient menacées, & elle fit en forte de les en garantir. Cette précaution fut moins nécessaire par rapport à celle à qui Amoris s'adressa. Afsurée que ses intentions étoient pures, elle le reçut sans s'en méfier. D'autres, quoiqu'avec le même mérite, n'avoient point le même droit, & quoique personne n'eût intention de tromper la sœur de celle qu'Amoris étoit à la veille d'épouser, il pouvoit s'en trouver plusieurs qui auroient pu se servir de ce prétexte pour cacher les vues qu'ils avoient fur elle. Pendant que le galant Amoris étoit dans le fort de ses déclarations, nos dames furent se promener un soir dans les jardins de Kensington. Amelie, sfœur de Janthe, resta derriere sa mere pour lire quelques vers qu'on avoit attachées au doffier d'un banc. Un jeune homme très bien mis s'approcha pour voir ce qu'elle lisoit, lorsque sa compagnie revint fur ses pas. La mere de nos beautés n'étoit Tome II. M |