supporter son absence; elle ne pouvoit s'empêcher de le regarder; elle n'étoit éloquente que lorsqu'il s'agissoit de le louer. Elle fut honteuse qu'il ne répondit point à sa paffion, elle rougit de ce que la tendresse étoit toute de son côté; & elle attendit avec impatience une déclaration qu'elle lui avoit défendu de lui faire. La prudence avoit guidé Mario dans le cours de ce dangereux voyage. Il connut sa situation, & il eut recours au pilote qui l'avoir conduit à la vue du port pour y entrer. Il crut qu'il étoit temps de se déclarer. Le pere & la mere, voyant leur embarras, réfolurent de leur faciliter un éclaircissement qui ne pouvoit que contribuer à leur bonheur & à leur repos. Mario les rencontra un soir en carroffe comine il alloit chez eux; il fut furpris de ne point voir la fille. Ils lui dirent qu'ils retourneroient au bout de demiheure, & lui firent promettre de venir les rejoindre. Mario vit pour la premiere fois en particulier l'objet qu'il adoroit. Il lui prit la main, & se jetta à ses genoux. » Ce n'est, > lui dit-il, que dans cette posture, que j'ose vous déclarer combien je vous » adore ». La confufion de la dame fut telle, qu'elle l'empêcha de lui répondre, mais elle le releva d'un air qui respiroit la rendresse. On est épris d'une foible paffion, lorsqu'on a la force de la décrire; le véritable amour est muet. Il n'appartient qu'aux yeux de parler dans ces occasions; ils ont une tendresse que la nature a refusée aux paroles. Nos deux amants se dirent peu de chose pendant l'absence de leurs parents; mais ils en dirent affez pour s'entendre. La parole leur revint lorsqu'ils furent de retour. Ce fut alors que l'amant déclara au pere les transports qu'il n'avoit osé manifefter en présence de fa maîtresse ; & que la dame avoua à sa mere qu'elle ne croyoit point qu'il y eût du crime à reconnoître le mérite d'un homme qui lui en avoit donné tant de preuves. On ne fauroit concevoir combien il eft confolant, pour un amant modefte. & vertueux, de s'expliquer devant un tiers. Sa présence lui est aussi agréable qu'elle est importune à un homme qui n'a que des vucs deshonnêtes: il peur dire alors à l'objes de sa passion quantité de chofes B qu'il lui eût été impossible de déclarer dans un tête à tête; & d'autres qu'une maîtresse peut entendre de loin qui l'euffent offensée de près. Outre les avantages que je viens de dire, nos amants avoient le bonheur de trouver dans leurs confidents, des amis & des patrons puiffants. Ils ne faifoient alors que leur confier un secret qu'ils savoient déja; ils le confioient à des gens qui étoient ravis euxmêmes qu'ils l'avouaffent. Le pere & la mere se moquerent de la réserve de leur fille, & des frayeurs de fon amant. Tout concouroit à favorifer leur paffion, & Mario se vit à la veille d'obtenir un bonheur dont il avoit longtemps désespéré. Lélie, qui étoit naturellement franche & fincere, ne cacha plus l'estime qu'elle avoit pour fon amant. Ce premier aveu favorisa tout le refte, & elle le reçut sur le pied d'un homme qui devoit bientôt être son mari. Mario defiroit de voir son himen accompli, fans ofer cependant propofer de le hâter. Il voyoit que Lélie y consentoit; il croyoit même entrevoir quelque chofe de plus qu'un simple consentement: il lisoit fon inclination dans ses yeux, mais il n'avoit pas la hardiesse de se déclarer; il n'osoit pas proférer le mot de mariage devant Lélie, & il pria fon pere de la presser d'en fixer le jour. Le pere se chargea de cette commission. La fille ne parut point furprise de fa démarche. Elle le remercia de la part qu'il prenoit à ses intérêts: elle loua fon défintéressement : elle avoua qu'elle aimoit Mario, & qu'elle ne pouvoit être heureuse sans lui. Mais, malgré cette franchise, malgré les railleries, l'éloquence & les prieres de fon pere, elle refusa de conclure ce mariage avant que les deux années de fon deuil fussent expirés. L'amant entreprit alors de plaider luimême sa cause; mais il trouva sa maîtresse inébranlable dans fa résolurion: elle mit fin à ses sollicitations par la maniere froide dont elle les reçut. Le jour du mariage fut enfin fixé, mais au terme que la délicatesse de Lélie exigeoit: on dressa le contrat, & l'amant reconnut les obligations qu'il avoit aux parents, en leur assurant ce qu'ils avoient abandonné à leur fille à titre de dot. Il continua ses vifites, mais fans donner à connoître quel en étoit le motif. Chacun se douta bien qu'il devoit épouser la veuve, mais il n'y avoit qu'eux qui sussent la vérité du fait. La fortune de l'amant, quoique confidérable, étoit fort inférieure à la fienne; mais la générofité de Lélie suppléa à ce qui y manquoit: elle lui affigna une penfion viagere proportionnée aux richesses dont elle jouissoit. Il est rare qu'il arrive des contre-temps à ceux qui ont de la vertu & de la prudence; mais le plus für est de faire en forte qu'ils n'aient aucune prise sur nous. Les actions n'ont pas toujours les suites qu'on s'en promet: pendant que Lélie différoit fon mariage, le neveu de Marcus arriva. Le fils du malheureux Juge, qui s'étoit sauvé pour avoir tué le mari de fa fœur, rerourna après plusieurs années d'absence; il trouva le moyen de se juftifier, & il obtint sa grace. Son arrivée produifit un changement étrange dans les affaires de la famille dont nous avons parlé jusqu'ici. Si le frere du Juge avoit vécu, il auroit été forcé de lui abandonner la fortune que le défunt lui avoit laissée; je laisse donc à penfer ce qui dut rester à la veuve. Un seul instant dépouilla Lélie de tout ce qu'elle possedoit, |