pas de ces prudes, qui par une fausse modestie se refusent à ce que la politeffe exige d'elles. Elle trouva l'étranger qui conversoit avec sa fille; & voyant qu'il les fuivoit, & qu'il continuoit à l'entrerenir sur le même sujet, elle crut qu'il y auroit de l'impolitesse à elle de le congédier. Le hazard donne souvent lieu à des liaisons importantes auxquelles on ne se fut jamais attendu. J'ignore fi celui qui lia connoiffance avec Amelie étoit l'auteur de ces vers, ou non, mais il n'en est pas moins vrai qu'ils lui donnerent occafion de manifester ses talents. Ils avoient été faits sur quelque beauté qui fréquentoit ce lieu; & comme les choses que l'on dit dans ces fortes d'occasions reffemblent aux prologues & aux épilogues de Bay's qui peuvent servir à différentes piéces, il fut aifé de lui perfuader qu'ils avoient été faits pour elle, & de la prévenir en faveur d'une paffion à laquelle il n'osoit espérer qu'elle répondît. Lelius éroit un homme riche & fenfé, & beaucoup plus sage que n'ont coutume de l'être les jeunes gens de notre fiécle; comme tel, il ne pouvoit manquer de plaire à une fille telle qu'Amelie. Lelius les accompagna au Parc, malgré la priere que nos dames lui firent de ne pas se donner cette peine; & s'apercevant qu'elles n'étoient pas bien aises qu'il les reconduifît à leur logis, il prit congé de la compagnie. Comme elles avoient nommé Amoris dans leur converfation, il comprit qu'il lui feroit facile de savoir qui elles étoient, & il ne jugea pas à propos de perdre, par ses importunités, le fruit des avances qu'il avoit faites. Les dames ayant réfléchi sur la maniere dont le jeune homme avoit lié connoiffance avec elles, n'eurent pas une trop bonne opinion de sa conduite, mais elles lui furent gré d'avoir obéi à la priere qu'elles lui avoient faite de se retirer. Elles conçurent de l'estime pour lui, & voilà comment Lelius évita l'écueil contre lequel tant d'hommes viennent se brifer, je veux dire, de perdre toutes ses prétentions, par trop d'empressement à à les faire valoir. Lelius avoit du bon sens, de la probité & de la fortune. Il ne connoiffoit Amoris que de réputation, mais comme il paffoit pour un homme d'honneur, il fut ravi de pouvoir s'informer de lui, qui 1 étoit celle avec qui il avoit lié connoiffance. Les dames, de leur côté, furent également empressées de le connoître; elles en parlerent le soir à Amoris, & il leur dit que c'étoit un homme de condition. Il reçut le lendemain matin les compliments de la personne qui avoit été le sujet de leur derniere conversation; il y répondit, & Lelius se rendit chez lui demi heure après. Après quelques compliments de part & d'autre, il lui dit, que le hazard lui ayant fait lier connoiffance avec une jeune demoiselle dont il connoissoit la famille, il avoit jugé à propos, avant de passer outre, de s'adresser à lui, pour savoir qui elle étoit. Amoris lui parla à cœur ouvert. Il lui dit qu'elle n'avoit point de fortune, mais que ses bonnes qualités suppléoient à ce défaut. Il l'inftruifit de l'état de la famille, & finit par lui dire : >> J'ailié, comme vous, connoif دو fance avec l'autre fœur, par un pur ha» zard. Je l'ai trouvée à tous égards telle >> que celle dont je viens de vous parler. >> Je ne prétends point que vous régliez >> votre conduite sur la mienne, mais >> vous pouvez juger de ce que je pense >> par la conduite que j'ai tenue. Je me » suis adressé à celle qui m'a paru mért>> ter mon amour & mon estime, & >> j'espere la faire consentir dans peu à me >>> donner fa main. » Lelius fut frappé des sentiments génénéreux de fa nouvelle connoissance. Il ne tarda pas une minute à se réfoudre. » J'ai >> affez de bien, reprit-il, pour pouvoir >> me passer de celui qu'une femme peut >> m'apporter. L'exemple que vous me >> donnez eft trop beau pour ne pas le sui>> vre; & la preuve que je vous dis vrai >> est que je vous prie de m'introduire à >> ces conditions dans cette famille; c'est >> la plus grande grace que vous puitfiez >>> me faire ». Amoris fut ravi de cette déclaration; il lui promit de le seconder, & lui donna rendez-vous pour l'après-midi. Lélius fue parfaitement bien reçu, & nos deux amants continuerent ensemble de faire leur cour à leurs maîtresses. Pendant qu'Amoris feignoit de presser son mariage, Lélius ne négligea rien pour hâter le fien. La cadette suivit l'exemple de son aînée, & la réfolution d'Amoris & de Janthe servit à fixer celle de Lelius & de sa maîtresse. Cependant Amoris différoit de jour en jour de se décider, quoiqu'il eût continuellement le mot de mariage à la bouche. Janthe l'épousa enfin, & confentit à paffer pour sa maîtresse, sans que sa mere ni sa fœur en sussent rien. Cette alliance, comme on l'avu, eut des fuites funestes. La mere mourut de chagrin, & la fœur se vit réduite à l'aumône. L'infortunée Janthe, pour se souftraire à la censure du public, se retira dans la province, & laissa sa soœur à la merci d'un homme qui la sollicitoit depuis longtems. Lélius, qui avoit deffein d'épouser la fœur de la femme d'Amoris, ne put jamais se réfoudre à épouser celle desa maîtreffe. Il lui fit une propofition dont elle eut horreur, mais elle ne put résister au besoin & à l'exemple. L'amant la pressa, elle ne pouvoit espérer une offre plus honnête, & elle comprit qu'il falloit l'accepter ou mourir de faim. Celle, qui auroit été un modele de vertu en qualité de femme, devint la maîtresse d'un homme qui l'abandonna au bout d'une semaine. Elle passa de fes mains dans celles de plusieurs autres, & elle mourut enfin dans la mifere. |