XIX. HISTOIRE De la confiance qu'on a aux diseurs ON Comptoit Paimable Clariffe parmi La réputation est d'un plus grand prix qu'on ne penfe. Ceux qui la méprisent foulent aux pieds le plus grand des tréfors. Ils ignorent qu'elle donne du prix à la vertu, & que le plus grand malheur qui puisse arriver à un homme est de perdre l'esțime des personnes qu'il fréquente, Clarisse étoit d'un âge à faire des conquêtes; quantité d'amants lui offrirent leurs vœux, & il n'étoit plus question que de se décider sur le choix. Sa fortune étoit affez considérable, sa figure agréable, & son caractere doux, affable & obligeant. On ne doit pas être surpris que les personnes accomplies fournissent des avantures au monde; celles qui n'ont point ces avantages, font beaucoup moins de bruit, & paffent leur vie dans l'obscurité. On s'instruit par ses propres observations. Clarisse prévoyant qu'elle pourroit tôt ou tard être fufceptible d'amour, eut soin d'en observer les conféquences dans ses amies, & elle jugea de la conduite de fon amant par celle qu'avoient tenue ceux qu'elles avoient eus. Elle ne voyoit rien en lui qui pût la faire douter de la sincérité de ses promesses. Sa passion lui paroifsoit réelle, mais celle d'Amoris & de Lélius le paroiffoient aussi; cependant tous les deux avoient été infideles & parjures, ce qui lui fit conclurre qu'il n'y avoit point à compter fur la bonne foi des hommes. Elle aimoit le jeune homme; elle se senroit pour lui un penchant qu'elle n'avoit jamais eu pour aucun autre, mais qui pouvoit l'assurer que l'affection qu'il lui témoignoit fût fincere ? Le cœur de l'homme ne fauroit rester un moment en suspens; les moyens qu'on pourroit employer pour faire ceffer notre irrésolution font trop incertains pour pouvoir compter fur eux. Clariffe avoit beaucoup de jugement, mais l'amour & la crainte l'empêchoient d'en faire ufage. On ne peut connoître les cœurs des hommes que par leurs paroles & leurs actions; mais comme les unes & les autres peuvent nous tromper, elle eut recours à un moyen furnaturel, du moins à celui que le fourbe qui le propose, & le simple qui l'employe, croient être tel. L'éducation qu'elle avoit reçue lui avoit inspiré un fouverain mépris pour les Aftrologues & les Devins; mais la crainte & la néceffité rendent fuperftitieux, & au défaut de bons moyens, on ne craint point d'en employer de mauvais. Cette ville fourmille de Devins, & par conféquent il est aifé de connoître ceux qui ont quelque réputation. On fe contente de les regarder simplement comme des gens qui en imposent aux ignorants, mais c'est leur faire trop de grace ; & un des plus grands réproches qu'on puisse faire à notre gou vernement, est de les fouffrir. Al-Hali avoit acquis beaucoup de réputation, au moyen de quelque léger changement qu'il avoit fait à fon nom & à sa figure. Ses anciens amis avoient de la peine à le reconnoître. Plusieurs femmes avec lesquelles il avoit été lié, étoient perfuadées qu'il avoit cominerce avec le Démon, tant il étoit instruit de leurs affaires. Il s'étoit lui même donné le degré de Docteur, & peu de gens pouvoient concevoir qu'Al-Hali n'étoit qu'une légére altération d'un nom Anglois fort honnête Hal-Haley. C'étoit à lui que recouroient les femmes depuis l'âge de quatorze ans jusqu'à celui de quatre-vingts. Ce fut à ce fils du foleil & à ce frere des étoiles que Clariffe s'adressa par l'entremise d'une amie crédule, qui avoit coutume de le confulter sur toutes ses affaires, & qui le connoissoit depuis longtems. La dame qui lui avoit rendu ce bon office, se retira dans une autre chambre, tandis que le Docteur & fa cliente étoient dans fon cabinet. Il fut très libre dans ses quefito ns, & fort réservé dans ses réponses; & après l'avoir entretentie pendant quel que temps de ses prédictions, il lui dit que la nuit suivante, à minuit, l'étoile qui avoit présidé à sa naissance se trouveroit dans le méridien, & que si elle vouloit revenir le lendemain, il lui apprendroit des chofes, qu'il ne convenoit pas qu'elle fût pour le prefent. Ils se séparerent, mais avec cette différence que le Docteur fur extrêmement content de son salaire, & qu'elle fut peu fatisfaite du jargon qu'il Jui avoit debité. Le Docteur étoit assuré des bons offices de fon amie. Elle étoit un de ces canards dont on se fert pour en attirer d'autres, & qui avoit le privilége d'écouter fon galimatias gratis, en faveur de l'argent qu'elle lui procuroit. On ne fauroit trop prendre ses précautions. Il fut aisé au Docteur de déviner, fans être grand forcier, que Clariffe étoit une de ces femmes dont il pouvoit tirer un très bon parti. Il envoya fa servante chez elle, pour la difpofer à recevoir ses réponses le lendemain, & l'affurer qu'il y donneroit toute fon attention, Laservante revint quelque temps après. Elle avoit parlé à la dame; elle s'étoit informée de son nom & de fa famille., elle avoit même été chez sa marchande de |