> regarde dans la riviere; il donne quel>> que chose à une pauvre femme; il laisse >> tomber sa cane en montant. J'ai tout » dit ». Le Docteur prononça ces paroles avec une véhémence étonnante. Il feignit de voir ce qu'il avoit donné ordre que l'on fit, il prétendit que l'enthousiasme l'avoit abandonné. Il regarda fixement Clariffe; il lui dit que le jeune homme dont il lui avoit parlé, étoit digne de sa connoissance, & que si le hazard la mettoit à même de s'aboucher avec lui, il lui conseilloit de ne point laisser échapper cette occafion. » Je vous laisse, Madame, > lui dit-il; pendant que nous parlons, le >> temps s'écoule; allez-vous-en, & veuille >> le Ciel vous procurer le bonheur qu'il دد vous promet «. La Dame lui fit un présent en partant, & fut rejoindre sa compagne. Celle-ci fut ravie de l'altération qu'elle aperçut fur fon visage. Elle lui demanda d'un air triomphant, ce qu'elle pensoit du Docreur. C'est un prodige, reprit-elle, mais ne me faites aucune question; dites feulement au cocher de nous conduire au jardin de Somerfet, & de doubler le pas. Clarisse étoit fi troublée, qu'elle n'eur pas la force de dire une seule parole. L'Aftrologue l'avoit remplie d'espérance & de craintes, & elle ne savoit à quoi se déterminer, lorsque le carrosse s'arrêta tout à coup. Elle mit la tête hors de la portiere pour voir ce que c'étoit. Une chaise de pofte leur barroit le chemin, & les domestiques graissoient les roues, & préparoient tout ce qui étoit nécessaire pour un voyage. La vue de cette machine la fit trembler; mais hélas! elle ne prévit point ce qui devoit lui arriver; elle ignoroit que tout cela avoit été concerté pour la tromper, & pour achever fa ruine. Dans ces entrefaites, le maître de la maison s'avança vers la portiere. Il lui demanda pardon de l'avoir arrêtée, & ordonna qu'on lui laissat le passage libre. II ajouta qu'on préparoit cette chaise pour une occafion particuliere. Qu'elle devoit partir à dix heures de la rue de Marlborough, & qu'il falloit qu'on fit quarantehuit milles avant que le jour parût. Elle fut surprise de voir que le lieu, l'heure & la distance s'accordoient parfaitement avec ce que l'Aftrologue lui avoit dit; car la maison de campagne de fon amant étoit à quarante huit milles de Londres. Elles continuerent leur route, & elles arriverent à fix heures au jardin de So-merset. Décius entra un moment après, conformément à la prédiction de l'Astrologue. L'amie de Clariffe ignoroit fon dessein. Elles s'affirent sur un banc qui étoit à la droite, & Clarisse suivit le vrai Décius des yeux avec la même attention que le Devin l'avoit suivi en idée. Elle le vit entrer par la porte qu'il lui avoit dite; elle vit qu'il se détournoit à gauche, qu'il regardoit par - dessus la muraille, qu'il donnoit l'aumône à une femme, & qu'il laissoit tomber sa canne. Il salua l'amie de Clarisse en passant, mais fans les regarder. Connoissez-vous ce gentilhomme? lui demanda celle-ci d'un air empreffé. Oui, reprit fon amie; j'ai souvent dansé avec lui à New-Tunbridge. Quel est-il? C'est un jeune homme qui fait son cours de Droit au Temple, mais il n'a pas def sein de suivre le Barreau. Clariffe proposa à fon amie de l'aller joindre, & lui demanda si elle pourroit lier conversation avec lui. Rien n'est plus aifé, reprit-elle, & il m'auroit fûrement abordée, si j'avois été seule. Ce fut là un coup du hazard auquel le Devin ne s'étoit point attendu. Elles l'aborderent, elles entrerent en conversation avec lui, & la pauvre Clariffe crut avoir trouvé fon amant. Décius lui demanda la permission de l'aller voir; elle le remercia de sa politeffe, & lui dit qu'elle espéroit que plus elle le connoîtroit, plus elle auroit lieu de se féliciter de sa rencontre. La tierce personne, qui avoit travaillé jusqu'alors pour la cause commune, mit le comble à sa bonne fortune. Elle invita Décius à venir passer la soirée chez elle, lui promettant d'engager son amie à être de la partie. Les personnes qui craignent, font pour l'ordinaire extrêmement réservées. Ni l'amant, ni la maîtresse ne dirent pas un mot fur ce sujet. Elles se promenerent encore une demi-heure dans le jardin ; le galant Décius leur donna la main pour remonter dans leur carrosse, & fut faire part à fon ami de sa bonne fortune. Clariffe trouva son amant chez elle. Son trouble fut fi grand, qu'elle eut de la peine à supporter la vue d'un homme qu'elle avoit abordé quelques heures auparavant avec un transport indici 1 ble. Elle se trouva mal, on la conduifit dans sa chambre, & l'amant se retira. Elle passa la nuit dans des inquiétudes inexprimables. Il envoya savoir le matin comment elle se portoit. On est toujours assuré de réuffir auprès des personnes qui ne se méfient point de nous. Décius encouragé par fon premier succès, preffa sa maîtresse de conclutre fon mariage. Elle le remit au foir. Un ami de l'époux devoit leur fervir de témoin. Le Devin avoit fes raisons pour se trouver présent à la cérémonie; il y vint, & personne ne le reconnut. L'ancien amant de Clarisse avoit conservé ses liaisons avec la famille. Il avoit dès le commencement conçu des foupçons contre ce mariage. Il fit agir ses émissaires, & l'on ne tarda pas à décou vrir que l'amant étoit un misérable & un fripon, qui n'avoit agi que par les conseils de l'Aftrologue. Les Officiers de Juftice étoient prévenus, ils se transporterent chez la Dame, & s'affurerent de tous ceux qui avoient eu part à cet infâme complot. Voilà comment Clariffe fut garantie de la ruine dont elle étoit ménacée, & |