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&, qui plus eft, elle se trouva redevable de l'intérêt de l'argent dont elle avoit joui pendant fon veuvage. Elle ne pouvoit lui difputer fon titre. Il fut touché du malheur dans lequel fon retour alloit plonger une famille innocente. Il ne voulut point met tre ses droits entre les mains d'un Procureur: il fut la voir lui-même, & employa toutes les précautions qu'il falloit, avant de se faire connoître. Il est aise de sentir l'effet que sa vue dut produire; mais il calma fes terreurs, en l'affurant qu'il n'exigeoit d'elle aucun compte, & la pria d'accepter la somme de 5000 liv. sterling par forme de dédommagement.

L'amant de notre belle veuve fut pré sent à cette visite: il s'aperçut que tout le monde le regardoit; mais il ne crut pas devoir interrompre l'héritier. Après qu'il eut achevé de parler, il le remercia de ses bontés, & le pria de les continuer au pere & à la mere. Quant à la jeune dame, ajouta-t-il, elle n'aura des obligations, fi on peut les appeller ainsi, qu'à foi-même. Lélie l'épousa le lendemain par reconnoissante. Toutes les parties vécurent en bonne intelligence, tant il est vrai de dire que la vertu a le pouvoir d'unir les cœurs. La femme & le mari resterent avec le pere & la mere, & ne formetent plus qu'une seule famille, & le neveu de Marcus fut celui de tous leurs amis qui fut le plus assidu à leur faire fa

cour.

HISTOIRE XII.

Effets de la vanité des hommes & de la présomption des femmes.

CELSE

ELSE étoit du nombre des amants qui avoient fait leur cour à Lélie du vivant de Marcus. Incapable de croire qu'elle pût refuser ses offres, il l'avoit attaquée comme une personne qui se feroit un honneur de lui céder; & lorsqu'il s'aperçut qu'elle le méprisoit, il la plaignit de fon peu de difcernement; il fut furpris qu'elle fût insensible au mérite rare qu'il croyoit poffeder, & il donna ordre à fon cocher de le conduire à Ranelagh.

Celse, avec plusieurs bonnes qualités dont il auroit pu faire usage, étoit le plus arrogant & le plus méprisable de tous les hommes. Il vérifioit par sa conduite ce que les naturalistes ont dit de l'espece humaine, & il se rendit ridicule par l'abus de ses talents, tandis qu'on se contente de plaindre quantité d'autres qui en man

quent. Celse avoit du jugement & dư savoir; mais la fatuité l'emportoit fur ses bonnes qualités: il avoit de l'esprit & de l'imagination, une vivacité extraordinaire, une complaisance qui le faifoit estimer des gens polis, & une franchise qui engageoit les femmes à rechercher sa conversation, encore qu'elle eût quelque chose de rude. Il avoit un très-bon naturel, mais fon principal talent étoit la flatterie. Il mentoit avec tant d'assurance, qu'il étoit impossible de ne pas le croire; & le mépris qu'il témoignoit quelquefois pour le beau sexe, rendoit ses affiduités plus flatteuses aux femmes auxquelles il paroisloit s'attacher.

Telles étoient les qualités de Celfe; la fatuité qu'on avoit jusqu'alors regardé comme un caractere de théâtre, éclatoit dans chaque action de sa vie, sans se démentir jamais. Il y a des hommes qui font arrogants dans la prospérité; mais Celse l étoit dans l'adversité même. Il sou rioit aux femmes qui le recevoient chez elles, & regardoit les déférences qu'elles. lui témoignoient, comme une chose due à son mérite; mais lorsqu'elles refusoient ses visites, l'orgueil prenoit la place de la honte, & on auroit cru, à l'entendre parler, qu'il n'y avoit point d'amant plus favorisé que lui. « Qu'un tel, disoit-il, >> se vante d'avoir plu à une femme in>> conféquente & légere, qu'il se glorifie >> d'une préférence qu'il ne doit qu'à fon >> peu de goût & de difcernement : le >> sexe s'est déclaré pour moi, & je plains >> la folle qui peut trouver des charmes >>> dans un autre ».

Celse étoit reçu partout, cependant on le méprifoit. Si quelque femme lui témoignoit quelques égards, elle le craignoit, & la conféquence étoit la même. Flatté des espérances qu'on lui donnoit & même des rebuffades qu'il essayoit à cause de sa légereté, de son inconftance, & des craintes qu'il croyoit infpirer à toutes les femmes, Celse ne visoit qu'à faire croire qu'il étoit aiiné ; & comme c'étoit là son unique but, peu lui importoit qu'il réufsît ou non. La familiarité avec laquelle il s'introduisoit chez toutes les femines, le faisoit passer pour un homme d'intrigue. Les feinmes se perdent par la flatterie, encore qu'elles soient vertueuses, & il y en a telle qui se diffame sans avoir fait du mal,

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