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& fans qu'il en revienne aucun avantage ni à elle, ni à son amant.

Le cœur de Celse étoit extrêmement aifé à enflammer. Il avoit le malheur de ne trouver aucun charme dans une femme, qu'il ne s'évanouît dans un instant, mais il étoit aveugle sur ses défauts; il se perfuadoit qu'il n'en avoit point. Il faifoit sa cour à toutes, mais le regne de l'une étoit promptement suivi par celui d'une autre, & cela en si peu de temps, qu'elle avoit de la peine à se reconnoître. Son cœur avoit reçu tant de blessures, qu'il n'y avoit point de place pour une nouvelle; tous les traits qu'on lui décochoit, ne faisoient impression que fur fon imagination, & ne lui caufoient ni peine, ni plaifir.

C'est ainsi qu'il vivoit parmi les femmes, les connoissant toutes, sans en connoître aucune. Toutes les recevoient, & toutes rejettoient ses vœux. Il les flattoit, & elles se moquoient de lui; il les railloit, & elles lui rioient au nez; il les preffoit, & elles ne répondoient point à ses avances. Il se consoloit d'un refus, en s'adressant à une autre qui ne le recevoit pas mieux ; & oubliant le paffé, il atten

doit d'obtenir dans une seconde visite, ce qu'il n'avoit obtenu dans aucune. Jamais homme n'essuya plus de contretemps, & ne fut plus fatisfait. Dans le temps qu'il étoit moins connu, l'histoire des succès qu'il avoit eus dans une maifon où il avoit échoué, lui donnoit entrée dans une autre où il avoit cherché à s'introduire. Les meres & les tantes voyoient leur réputation facrifiée. Elles jettoient les hauts cris, & il s'en moquoit. Elles le dépeignoient comme un destructeur de la virginité, & leurs filles & leurs nieces le croyoient tel. Si une femme s'étoit décriée pour l'avoir reçu, le mari se faifoit un point d'honneur de le décrier à fon tour dans les compagnies, & la plus grande partie des femmes se déchaînoit contre lui. Donnoit-il quelques foupçons à un tuteur, toutes ces dupes se tenoient fur leur garde, & les femmes les plus répandues fe faifoient une peine de le fré

quenter..

Privé de tous les avantages d'une intrigue, par la réputation qu'il avoit d'en avoir plusieurs, Celse fut réduit à chercher une maîtresse parmi les femmes du plus bas étage; & pour se venger de cel

les qui avoient fait les prudes, il en choifit une extrêmement jolie. Il la menoit partout; il lui faisoit mille politesses, & n'avoir des yeux que pour elle. Tout le monde fut indigné de la préférence qu'il donnoit à une pareille créature, mais per sonne n'ofa la lui disputer. On fe contenta d'en rire. Son plan réuffit comme il l'avoit espéré. Il se rendit le premier à Bath. On ignoroit qu'il eut une maîtreffe; il étoit seul, & il eut l'avantage de lier connoissance avec ceux qui s'y trouvoient. Ceux qui vinrent après furent furpris qu'on le reçût dans les bonnes maisons. On blâına une femme de l'avoir fait; mais toutes firent ce qu'elles avoit vu faire aux autres. La crainte qu'on avoit eue de lui s'évanouit à mesure qu'on le connut; & depuis ce temps là, Celse fut regardé sur le même pied que les autres damoiseaux. Tout le monde, à l'exception des personnes intéressées, le soupçonna d'avoir des liaisons dans les familles où il alloit, & fa vanité en fut flattée; il se crut un personnage important, quoique sa vie fut des plus méprifables. J'ai dit ci-dessus qu'il se rendit à Ra nelagh, ce repaire des fainéants, des lie bertins & des amoureux, après avoir quitté Lélie: il avoit oublié qu'il devoit y avoir le même soir une mascarade, & il fut obligé de louer des habits. Il joignit la compagnie; toutes les femmes qu'il trouva méritoient d'être connues, à l'exception d'une feule, & ce fut celle à laquelle il donna la préférence. La nouveauté a des charmes, & il crut voir ceuxlà & beaucoup d'autres dans cette perfonne. Il lui conta mille fornettes, mais elle garda son sérieux. Il avoit envie de l'avoir, mais elle auroit mieux aimé qu'il l'eut laissée. Il crut avoir réuffi, & elle se moqua de sa crédulité. Il en devint amoureux, & elle le quitta.

Le plus grand fat que la nature eut jamais formé, rencontra cette fois ci la plus grande de toutes les coquettes. L'objet de sa nouvelle paffion n'étoit autre que la jeune Lyce, l'admiration & le mépris de toute la ville. Elle avoit eu le même sort parmi les hommes, que Celse parmi les femmes; je veux dire, qu'elle avoit eu dix mille adorateurs, sans trouver un amant. Quiconque voyoit Lyce l'admiroit; quiconque l'entendoit, étoit ravi, mais on étoit bientôt guéri de sa passion, dès qu'on la connoissoit. Elle possédoit toutes les bonnes qualité de Celse, & elle en faifoit un auffi mauvais usage que lui. Elle étoit la plus belle femme du monde, mais à quoi lui fervoit sa beauté ? Les femmes lui portoient envie, ou, pour mieux dire, la haiffoient. Les hommes en étoient charmés ; mais comment? comme ils le font des portraits d'Amptoncourt, qui avec un beau visage, n'ont aucune sensibilité. Pendant qu'ils admiroient ses agréments, ils méprisoient fon cœur; & parmi ce petit nombre d'amants modernes qui connoissent les beaurés fupérieures de l'esprit, il n'y en eut pas un qui ne fut outré du mauvais usage qu'elle en faifoit.

Lyce avoit fréquenté les grands. C'étoit à leur école qu'elle avoit appris les premiers rudiments de cette philofophie qui enseigne que la ruse est la gardiennede la beauté; que les hommes font des trompeurs, qu'on doit les traiter comme ils le mérirent, & les payer de perfidie; que l'amour est un vain nom, le mariage, une affaire de convenance, & que peu importe de se marier avec un homme ou

avec un autre; qu'une femme n'est point maîtreffe

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