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Grecque à la mode du pays. Celse étoit habillé en Sultan. Son turban étoit furmonté d'un croiffant & d'une aigrette qui éblouissoit les yeux. Il se mêla parmi la compagnie, bien moins dans le deffein d'en faire partie, que dans celui de s'en amufer. Le Ture fut auffitôt reconnu à fa raille. Les charmes de Lyce étoit trop connus, pour perdre leur prérogative sous le mafque. Tout le monde les reconnut, & doit-on être furpris qu'ils se reconnuffent aussi l'un l'autre ?

Le Sultan parut; il jetta son mouchoir aux pieds de la belle Grecque qui le ramassa, & le mit autour de son cou. Il lui présenta la înain, elle la porta à ses levres & le suivit. Tout le monde avoit les yeux attachés sur eux, mais assurés de leur importance, & regardant le reste des hommes comme des créatures d'une efpece fort inférieure à la leur, ils se promenerent & converferent ensemble, ravis d'avoir réciproquement mérité l'estime l'un de l'autre, & feignant d'ignorer qu'on les regardât. L'amant la pria de lui dire de quelle région du ciel elle étoit defcendue. La dame accusa sa mauvaise étoile de l'avoir privée du bonheur de le con

noître plus tôt. On permet quantité de choses sous le masque, qu'on ne pourroit fouffrir dans d'autres occafions. Nos amants, dans le temps même qu'ils feignoient de ne se point connoître, se juroient une amitié & une fidélité inviolables; & tandis qu'ils affectoient de se perfuader que ce qui se passoit n'étoit qu'un jeu, ils s'affuroient mutuellement de la fincérité de leurs aveux. Lyce ne s'aperçut point que ses amants l'avoient abandonnée. Celse étoit perfuadé que perfonne ne pouvoit entrer en concurrence avec lui. Tant que Lyce fut bien avec fon amant, elle s'embarrassa très-peu des autres hommes, & lorsqu'on lui dit qu'ils l'avoient délaissée, elle répondit qu'elle n'avoit rien perdu au change. Celse étoit l'homine le plus amoureux, le plus flat-. teur & le plus trompeur qu'il y eut au monde; & la dame ne se trompa fur aucun de ces articles, excepté que se fiant trop à ses charmes, elle ne s'aperçut point qu'elle s'étoit facrifiée à un homme qu'elle devoit facrifier à fon tour après quelques jours d'adoration.

Lyce étoit sous la tutelle d'une tante, qui se trouva ce soir-là avec elle au bal.

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Vers le matin le Sultan, sans égard pour sa dignité impériale, s'abaissa au point de lui demander si elle vouloit bien lui permettre de l'aller voir. Il étoit affis la maîtresse à sa droite, & sa suivante à sa gauche. Il s'adressa d'abord à l'idole de fon ame. Elle lui fit une profonde révérence, & lui dit de s'adresser à sa tante, qui à fon tour le renvoya à la niéce. Celse, qui n'étoit point accoutumé à se voir joué, se facha; la dame fut piquée de fon infolence; mais comme elle auroit été fachée de le perdre, elle lui dit qu'elle le lui permettoit, pourvu qu'il trouvât moyen de le faire. Elles s'éloignerent, &le Sultan se voyant seul, fut réjoindre une troupe d'êtres inférieurs; mais pour ne pas profaner les levres qui avoient dit tant de menfonges à Lyce, il ne dit pas un mot de vérité aux autres femmes auxquelles il parla. Il but une demi-bouteille de vin de Champagne, en murmurant tout bas, en le versant, le nom de sa maîtreffe, & remonta dans son carroffe.

Celfe, qui regardoit Lélie de mauvais œil depuis l'indifférence qu'elle lui avoit témoignée, la méprisa encore plus, lorfqu'il s'aperçut de l'empressement aveclequel Lyce avoit reçu la déclaration de sa flamme. Il passa une nuit fort agitée. Il envoya savoir le matin comment elle & sa tante se trouvoient du divertissement de la veille. Elles chargerent le domeftique de lui faire leurs compliments, ce qu'il prit pour une invitation de les aller voir. Il leur fit dire qu'il auroit l'honneur de leur rendre visite le foir, & elles accepterent fon offre.

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Cette entrevue se passa bien différemment de la premiere. L'amant ébloui des charmes qu'il n'avoit aperçus jusqu'alors que dans l'éloignement, n'eut pas la force de proférer une feule parole. Ce filence, qu'a coutume d'inspirer l'admiration étoit fort ordinaire à Celse. Jamais perfonne ne connut mieux le fublime en amour, & se souvenant de l'éloge que Longin donne au filence qu'Homere fait garder à Ajan, lorsqu'il rencontre l'ombre d'Ulysse dans les Champs Elisées, il avoit reconnu par expérience qu'il y avoit infiniment plus de fublimité & d'éloquence dans ces fortes de filence, que dans tout ce qu'il auroit pu dire. Il pratiqua ici réellement, ce qu'il n'avoit fait jusqu'alors que par artifice. On ne peut

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disconvenir que Lyce ne fût la plus belle femme de fon temps. Le cœur de Celfe étoit extrêmement susceptible des impreffions de la beauté, & il trouva en effet qu'elle avoit la vertu d'engourdir les sens, ce que les Italiens appellent Opera de stupire. Tout se borna chez lui à la fimple admiration. Sa confufion ne déplut point à la Dame; elle trouva qu'elle lui donnoit une nouvelle grace & de nouveaux charmes; mais, d'un autre côté, elle l'empêcha de s'apercevoir de l'effet qu'ils avoient produit sur elle. C'étoit là une découverte qu'il n'étoit pas de fon intérêt qu'un homme du caractere de Celse fit.

Ce fut un bonheur pour eux que la tante se trouva présente; car je ne sais quand le ravissement, l'admiration & le filence auroient fini. Lyce rit de l'étonnement de fon amant, & lui montra une chaife. "Permettez-moi, lui dit Celse >> en reprenant haleine, avant de m'af>> feoir, de vous demander pardon de la >> méprise que j'ai faite ce matin; c'est là >> le but de ma visite ». La belle fourit, la tante prit son sérieux, & dit à fa niéce qu'elle avoit cru que la visite de

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