Celse avoit un tout autre motif. Celuici, tout transporté hors de lui-même, voulut prendre la main de fon adorable maîtreffe, mais elle la retira. Il lui dit qu'il étoit ravi que sa tante fût dans les mêmes sentiments qu'elle à son égard, & lui jura que si la connoissance qu'il avoit eu le bonheur de lier avec elle, duroit jusqu'à ce qu'il donnât occafion de la rompre, elle feroit éternelle. La Dame ne put s'empêcher de rire de fon imagination romanesque; & latante, qui dans ces fortes d'occafions faifoit l'office de pedagogue, car il convenoit qu'il se trouvât une personne de bon sens dans toute une famille, lui dit, qu'à moins qu'il ne s'offensât de la gaieté de fa nićce, il n'y auroit que fon caprice qui pût la rompre. L'amant conclut de-là qu'elle ne finiroit jamais. C'étoit une espece de liberté, à laquelle l'orgueilleuse Lyce n'étoit point accoutumée; mais l'amour & la mort mettent tout de niveau. Quoiqu'il y eût quelque chose dans les manieres & la franchise de Celse qui offensat son orgueil, elle trouva affez d'autres qualités en lui pour compenfer ce défaut, Elle n'étoit pas d'humeur à perdre le terrein qu'elle avoit gagné dans sa nouvelle conquête. Elle avoit assez fréquenté le monde pour savoir qu'il n'y a point dhomme qui n'ait sa paffion dominante; que c'est elle qui gouverne non-feulement les autres, mais encore l'homme tout entier ; & que le moyen de parvenir à une fouveraineté abfolue, est de se servir de cette même paffion pour connoître les foibles du cœur qu'on veut conquérir. Lyce aspiroit à la victoire, & vouloit la remporter à quelque prix que ce fût. Lorfqu'elle vint à examiner les moyens, elle n'eut pas de peine à s'apercevoir que la passion dominante de fon nouvel amant, étoit la vanité, & elle résolut de la flatter. Elle devint plus familiere avec lui; ✔elle lui témoigna plus d'égards & plus d'empressement. Elle l'avoit d'abord traité d'homme einpesé; elle en vint aux épithétes d'infolent, d'insupportable, d'audacieux; & au lieu de retirer sa main comme elle l'avoit fait la premiere fois, elle la lui présenta de maniere, qu'il eut de la peine à trouver ses doigts. Ces procédés plaifoient infiniment à Celfe. Ce qui auparavant auroit paffé dans fon ef prit pour l'effet de la coutume & du caractere, lui parut être l'effet d'une conquête, & de l'impression que ses charmes avoient fait sur elle. Il resta avec elle jusqu'à l'entrée de la nuit. Il se leva alors pour se retirer, & Lyce eut de la peine à se perfuader qu'il fût fi tard. Il réitéra sa visite le lendemain, & il fut reçu comme il l'avoit été la veille. Il ne put cacher son triomphe: Lyce rougit de safoiblesse, & la tante les blama tous deux. Il soupa avec elles, & au fortir de table, elles l'inviterent à faire une partie. Les dames dresserent le plan qu'elles propofoient de suivre l'été suivant, relativement aux endroits où il se propofoit d'aller. Celse étoit l'étoile polaire qui dirigeoit leur route. Il les quitta le matin & ne se coucha qu'au point du jour; mais ses transports furent tels, qu'il lui fut impossible de fermer l'œil. Il venoit de faire une conquête dont il étoit entierement afsuré; il ne s'agiffoit plus que de l'usage qu'il vouloit en faire. Avec un autre homme, l'honneur de Lyce auroit été l'objet des tentatives de Celse. Il se contenta de la réputation de l'avoir en son pouvoir. Le chemin qui conduisoit à l'un, étoit plein d'embarras & de difficultés; l'autre étoit plus court & plus aisé. Il ne perdit point le premier de vue; mais le dernier fut la seule chose qui l'occupa. Il vouloit montrer fon pouvoir; il étoit empreffé de faire parade de sa conquête. Il résolut de traiter cette folle avec quelque ménagement le lendemain au foir, & de montrer au public le pouvoir qu'il avoit eu de donner à une femme des fers qu'elle avoit jusqu'alors donnés aux autres. C'étoit à Ranelagh qu'il l'avoit vue pour la premiere fois, & ce fut là aussi qu'il vou lut faire parade de la victoire qu'il venoit de remporter. Il lui écrivit le lendemain matin pour lui proposer cette partie, & en attendant le retour du messager, il ne fut occupé que de la maniere dont il s'habilleroit pour triompher d'elle. Lyce ne s'occupoit pas moins de fa conquête, que Celse de la sienne. Elle avoit eu peine à fixer fon amant; elle lui avoit plus cédé qu'elle n'avoit jamais cédé à aucun autre. Elle trouva qu'elle l'avoit fuffisamment engagé dans ses fers, & elle se crut affez vengée des affronts qu'elle avoit reçus dans les foumiffions qu'elle 47 lui avoit faites. Elle passa plusieurs heures à réfléchir sur les moyens qu'elle pourroit employer pour mortifier fon amant, & l'expofer au ridicule. Elle le vit dans un jour différent de celui dans lequel il la voyoir; cette affaire, qu'il traitoit de bagatelle, lui parut extrêmement sérieuse, & elle résolut de faire en forte qu'il la trouvât telle. Elle comprit le but de fon amant, & elle le méprisa au lieu de le haïr. Elle s'attendoit à l'attaque, & elle s'y prépara. Elle avoit appris la maniere dont il avoit traité plusieurs femmes qui avoient été éprises de lui; elle vit que le même fort l'attendoit, & elle fe tint fur ses gardes. Pendant qu'elle méprisfoit & haïffoit la vanité & la perfidie de fon amant, elle ne put s'empêcher d'admirer ce qu'il avoit d'eftimable. Elle connoiffoit fes bonnes qualités, le talent qu'il avoit de plaire & de faire le bonheur d'une femme qui en feroit digne; mais ces mêmes qualités lui parurent enfevelies parmi quantité d'autres mauvaises. Elle l'aimoit parce qu'il lui refssembloit; elle aimoit même ses défauts, & elle fe rendit à la raison pour la premiere fois de fa vie. Elle connoissoit sa fortune & fon |