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qu'important. Toute autre femme auroit avoué l'envie qu'elle avoit de conserver un homme qu'elle aimoit, & qui l'avoit assurée de fon amour; mais Lyce con noissoit trop fon cœur, pour croire que cela pût produire quelque effet fur le fien. Ce fut peut-être far ce principe, que ces deux personnes étranges vinrent à bout de s'aimer mutuellement; leurs cœurs se ressembloient parfaitement, & chacun jugeant de l'autre par ce qui plaifoit au fien, il n'eut pas de la peine à deviner ce qui pouvoit lui assurer celui de l'autre.

Lyce avoit le secret d'obtenir par fa hardieffe des choses qu'une femine timide. n'auroit pu obtenir avec toute l'adresse du monde. Lyce, qui savoit qu'elle s'étoit souvent sauvée par des démarches qui auroient perdu une autre, devina bientôt ce qui pouvoit avoir fon effet fur Celse. Elle lui écrivit nettement qu'elle ne vouloit plus le voir: qu'elle s'étonnoit qu'un homme qui connoissoit si bien le monde, pût attribuer à une passion réelle les déclarations qu'elle lui avoit faites en badinant, & par maniere d'acquit. Elle prenoit le ciel & la terre à témoin qu'elle

l'avoit toujours estimé, mais qu'elle n'avoit jamais fongé à l'aimer; que c'étoit là une passion qui avoit fon origine dans le cœur, & non dans l'esprit, & qui dépendoit plus de l'imagination que du choix. Qu'elle étoit fâchée qu'il eût pris férieusement ce qui n'étoit qu'un fimple badinage; qu'elle se savoit mauvais gré de sa légereté, que cela lui serviroit à l'avenir de leçon. Elle le prioit en finiffant de lui pardonner sa faute, & de ne point lui refuser son amitié & fon estime. Celse ne douta plus d'être aimé ; il aimoit, & fachant la méthode qu'on avoit employée pour conquérir son cœur, il réfolut de l'employer pour captiver celui de fa belle ennemie. Il lui écrivit qu'il lui accordoit fon eftime & fon approbation; qu'il étoit même tenté de l'aimer, mais qu'il n'osoit lui offrir une chose qu'elle avoit refusée. Trop irrités pour se voir, ils continuerent quelque temps cette étrange correfpondance. Les valets ne faifoient qu'aller & venir du matin au foir; & fi Čelse lui écrivoit à minuit, Lyce ne manquoit pas de lui répondre le len demain inatin en se mettant à sa toilette.

On n'a peut-être jamais vu de pareille correfpondance entre deux personnes d'efprit, toutes deux coquettes, & qui employoient l'une contre l'autre les batteries dont elles s'étoit servies pour subju guer les deux sexes. Trop méfiantes pour compter fur leur métite, quoiqu'elles cruffent en avoir beaucoup, elles firent ufage de leur esprit & de leur adreffe : toutes deux aimoient; toutes deux étoient afsurées de leur conquête; mais connoiffant leur inconstance, chacune craignoit celle de l'autre. C'est ainsi que deux joueurs jouent ensemble, faute de trouver des dupes. Celse aperçut dans Lyce tous les charmes qu'il pouvoit defirer dans une femme; Lyce de fon côté vit dans Celse toutes les qualités qui peuvent rendre un homme aimable. Ils s'aimoient, & ils fe craignoient l'un l'autre. Cette correfpondance qui naquit de leur petite querelle, répondit beaucoup mieux à leurs fins, que ne l'auroit fait l'amitié la plus intime. Elle leur fournit le moyen d'exercer le talent qu'ils avoient de plaire; elle leur donna le temps de réfléchir fur les démarches qu'il convenoit de faire dans une affaire aussi importante. Lyce yit dans Celfe un homme qui ne pouvoit

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être contenu que par la sévérité & la réserve. Celse vit dans Lyce une femme qu'on ne pouvoit gagner que par le défefpoir; qui, pendant qu'elle l'aimoit, & qu'elle l'avouoit, ne lui donnoit pas la moindre lueur d'espérance. Ce projet étoit à la vérité étrange, mais il devoit répondre à ses vues. Il acheva de part & d'autre une conquête qu'on n'eût point obtenue par une autre voie ; & on auroit dû s'attendre à voir un temps, où ces deux personnes qui s'aimoient paffionnément, eurent une entiere confiance l'une dans l'autre.

Il y a un dictum parmi les peintres, manum de tabula, qui les fait souvenir du temps où il convient de quitter leurs tableaux. C'est en effet une science que de favoir quitter le pinceau à temps, & il s'en est trouvé plusieurs qui ont gâté leurs ouvrages pour avoir voulu trop les finir. Les amants tombent fouvent dans' le même défaut. Il y eut un temps où Lyce n'avoit qu'à se rendre pour s'assurer de fon amant. Son bonheur dépendoit plus du succès de fes complaisances, que celui de Celfe; car les femmes font beaucoup plus amoureuses que les hommes

Celse, après lui avoir écrit une lettre daus laquelle il lui marquoit son désefpoir, & la résolution où il étoit de ne plus prétendre à fon amour, & de se bor ner à fon amitié, vint la voir un jour pour l'inftruire de ses prétentions. Lyce auroit dû faifir ce moment; mais qui est celle qui ne fait point de faute? Affurée de sa conquête elle refusa de le recevoir. Il savoit qu'elle étoit au logis; il fut outré de cet affront, & après avoir réfléchi pendant deux minutes, pour se rappeller l'endroit où logeoit la plus belle femme de sa connoissance, il se rendit chez Fulvie...

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Il entra avec un air de gaieté dinaire, & fit paroître beaucoup d'esprit dans la conversation. Tout le monde favoit la passion qu'il avoit pour la divine Lyce, & l'on n'eut pas plutôt appris qu'il l'avoit abandonnée, qu'on se mit à glofer fur fon compte. Il écouta tranquillement, il renchérit sur les éloges qu'on fit de son esprit, de fa beauté & de fon affabilité; & lorsqu'il vit qu'on le croyoit réellement amoureux d'elle, il se mit à parler de ses défauts. Vous vous moquez de nous, lui dit l'aimable Ful

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