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le Droit pour apprendre à conferver fon bien, & fon tuteur, pour lui inspirer du goût pour Coke & Littleton, l'avoit fixé à Grais'inn. Doué de toutes les qualités capables de conquérir le cœur d'autrui, le sien ne reçut aucune blessure jusqu'au moment où il vit Lélie. Il avoit trop de probité pour feindre un ainour qu'il ne sentoit point. Le désespoir dans lequel il la trouva, lui donna quelque espoir de réuffir là où les autres amants sont assurés du succès. Il regarda celle qui captivoit son cœur, non point comme une divinité qu'il ne devoit adorer que dans l'éloignement, mais comme une mortelle qu'il devoit approcher. L'ardeur de son amour fut tempérée par son jugement; & connoissant le prix de sa conquête, il prit tous les moyens nécessaires pour se l'affurer. Il craignoit les horreurs d'un refus, il résolut de s'en garantir en ne lui faisant aucune déclaration. Lélie étoit une femme dont on ne pouvoit gagner le cœur qu'après s'être rendu maître de fon efprit: il résolut donc de mériter fon eftime, avant de lui parler de fon amour; & il crut que le moyen le plus propre pour être bien venu auprès d'elle, étoit de se mettre sous la protection d'une personne dont elle fît cas.

Il prit sa résolution dès qu'il le crut nécessaire. Perfuadé que ses prétentions étoient raisonnables, il crut qu'elles seroient d'autant mieux écoutées, qu'elles feroient plus finceres. Il comprit que perfonne n'étoit plus propre que son pere à lui procurer la connoissance d'une perTonne qui ne pouvoit se dispenser de le confulter fur fon choix, & il résolut de captiver sa bienveillance avant de lui ou vrir fon cœur.

La fortune que Marcus avoit laissée en mourant à sa femme, avoit mis fa famille sur un autre pied qu'elle n'étoit auparavant. Les hommes font naturellement portés à faire leur cour aux gens riches, encore qu'ils ne doivent point profiter de leur opulence. Le pere étoit très-bien venu par-tout; & comme il avoit la prudence de cacher les circonstances les moins favorables de sa vie, on regarda sa conduite comme l'effet du goût qu'il avoit pris pour ce même monde auquel il avoit renoncé. Mario trouva le moyen de lier connoissance avec lui, & il ne lui fut pas difficile de s'en faire aimer. Il fut charmé de sa converfation, des fentiments qu'il faifoit paroître, & de la conduite qu'il tenoit. Il étoit étonnant en effet de voir un jeune homme de cet âge, qui, malgré la liberté & la fortune dont il jouissoit, n'avoit aucun de ces vices qui ternissent le čaractere de ceux qui n'ont d'autre mérite que leurs titres & leur naissance. Il eut occafion de souper avec lui, & de l'inviter à fon tour. Son économie au-dedans répondit à la conduite qu'il tenoit au-dehors. Tout étoit élégant chez lui sans extravagance, abondant fans profusion.

L'amant eut l'adresse de faire en forte qu'une connoiffance qu'il n'avoit cherchée à faire que dans la vue de parvenir à ses fins, fut plutôt l'effet du choix de celui avec qui il vouloit la lier, que celui de fon empressement. Il réussit; tous ceux qu'il avoit invités l'inviterent à leur tour; & le pere de Lélie le pressa de venir le voir d'une maniere qui ne tenoit en rien des formules ordinaires de la politesse. Il dit à Mario qu'il l'eftimoit plus qu'aucun homme qu'il eût jamais connu; il le pria de l'honorer de fon amitié. Le jeune homme le remercia en rougiffant; il lui promit de l'aller voir le lendemain; & fon transport fut fi grand, qu'il ne put fermer l'œil de toute la nuit.

Il résolut de soutenir avec prudence la démarche qu'il avoit faite avec tant de précaution. Il réfléchit sur la conduite qu'il lui convenoit de tenir; il étudia ses expreffions, ses compliments, & jufqu'aux mouvements de ses yeux, pour lui inspirer de l'estime pour lui, en attendant qu'il fût affez heureux pour pouvoir déclarer son ainour à sa fille. Le pere, de son côté, qui avoit parlé de lui à Lélie avec enthousiasme de l'amant qui s'entretient de sa maîtresse, n'avoit pas oublié dans ses éloges, de lui conseiller de bien garder son cœur. >> Vous verrez, lui >> dit-il, le seul homme qui me paroiffe >> digne de vous. Je ne fais ce qu'il pen>> sera en vous voyant; mais au cas qu'il >> vous fasse une offre, foyez sure que je » l'appuyerai. » La mere fourit; la fille répondit qu'elle ne vouloit point se remarier, & le tout fut oublié jusqu'à l'arrivée du jeune homme.

Qusique le pere ignorât les politesses que Mario avoit faites à sa fille, la demoiselle s'en étoit aperçue. Elle avoir toujours trouvé mauvais qu'un homme osat sentir de l'amour pour une femme mariée; mais Mario ne lui parut point être dans ce cas, tant il avoit été modefte & réservé. Quelle fut sa surprise, lorfqu'elle reconnut que celui qui venoit lui rendre visite, étoit ce même amant qui, sans l'offenser, avoit donné tant d'inquiétude à son mari, & qui avoit caufé sa mort! elle ne le connoissoit que par ce que fon pere lui en avoit dit. Elle pâlit lorsqu'elle le vit entrer; elle se retira au bout de quelque temps, & fon pere ne put jamais la résoudre à retourner dans l'appartement tant qu'il y fut. Le pere & la mere, quoique fâchés de cet accident, ne purent s'empêcher d'admirer le bon sens, & les manieres du jeune homme qui l'avoit occasionné. Mario abrégea sa visite, & le pere fut le lendemain lui faire ses excuses. Il passa plufieurs heures avec lui, & fut de plus en plus charmé de sa conversation, il lui dit qu'il feroit ravi que fa fille pût avoir le bonheur de lui plaire, & le pressa de venir le voir le plus tôt qu'il pourroit, pour le dédommager de ce qu'il avoit perdu dans la premiere visite qu'il lui avoit faite. Lélie auroit voulu se dispenser de le voir,

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