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vie. Pourquoi, reprit Celse, n'aurois-je pas la même liberté que vous ? On reprit la conversation, & Celse parla de Lyce comme d'une femme vaine, qui avoit pris ses politesses pour une déclaration d'amour, & qui s'étoit appropriée les éloges qu'il avoit fait de son sexe, comme s'ils lui euffent été légitimement dus. Il s'efforça de leur prouver qu'il n'avoit jainais senti la moindre passion pour elle, & finit par leur dire que s'il y avoit au monde une fenime pour laquelle il se sentît de l'inclination, c'étoit celle à qui il faifoit cet aveu.

Fulvie étoit affez belle pour mériter un pareil compliment; elle en fentit toute la force. Ils passerent la soirée affez agréablement, & Celse trouva l'occasion de lui dire en fortant à l'oreille: "Je ne fais >> comment un pareil aveu m'est échappé; >> j'aurois été ravi de vous le faire à vous>> même ; voulez-vous me permetrre de » vous entretenir demain la-dessus? La dame y confentit en rougissant; elle lui dit qu'elle regardoit ce qu'il disoit comme une raillerie; mais qu'elle lui perınettoit de la continuer aufli longtemps qu'il lui plairoit. Il fut la voir le lendemain; il plaida sa caufe, & Fulvie trouva son offre trop avantageuse pour la rejetter. Elle obtint par fa prudence, ce que Lyce avoit perdu par sa coquetterie. Elle voyoit un des plus aimables hommes du monde à ses pieds, l'expectative d'une fortune auffi considérable qu'elle pouvoit l'attendre ; elle regarda les égarements de sa vie com me des effets de sa jeunesse, & comme une chose à laquelle le mariage mettroit fin; elle ne douta point que les mêmes qualités qui lui avoient mérité fon amour, ne

contribuassent à le lui conferver & à le guérir de fes folies; elle se flatta de pouvoir réformería conduite, elle envifagea les fuites de cette réforme dans le jour le plus avantageux ; & ce qui la flatta encore davantage, fut l'envie que tout fon fexe lui porteroit.

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Lyce ne fut point allarmée de ce nouvel engagement. Elle le regarda comme un artifice dont il se servoit pour lui caufer de la jaloufie, & rallumer fa paffion. Elle le vit faire sa cour à Fulvie en public, elle apprit ce qu'on disoit des déclarations qu'il lui avoit faites; elle crut pénétrer fa rufe, & elle feignit de la méprifer. Dupe de fon propre système, elle continua. continua de le traiter avec indifférence. Elle brûloit d'amour pour Celse, mais elle résolut de suivre la route que son imprudence lui avoit indiquée. Elle favoit que sa conduite étoit l'effet du refus qu'elle avoit fait de le voir; mais comme elle étoit prévenue en faveur de ses. charmes, elle crut pouvoir le guérir de fa nouvelle passion avec un fouris, un fimple clin d'œil. Sa tante lui conseilla de lui écrire, mais elle ignoroit le motif qui la faifoit agir. Lyce crut que tout dépendoit de sa résolution. Elle s'imagina qu'à force de garder le filence, elle viendroit enfin à bout de vaincre son opiniâtreté; elle attendoit à chaque instant une foumission de la part de celui dont elle s'étoit joué. Voilà comme toutes les femmes se Hattent. Elle se perfuada que Fulvie ne l'avoit gagné qu'en se prêtant à ses vues, qui étoient de paroître bien avec elle en public, car elle ne croyoit pas qu'il eût d'autre dessein; elle se perfuada qu'ayant obtenu ce qu'il defiroit, il ne tarderoit pas à l'abandonner. Elle eut affez bonne opinion de ses charmes, pour croire qu'ils l'emporteroient fur ceux de Fulvie, elle s'efforça de le rappeller en lui perfuadant Tome II. E

qu'elle l'aimoit; & elle attendoit impatiemment qu'il vint la voir, lorsqu'elle reçut un biller par lequel il l'assuroit du souvenir de fa femme & du sien.

Cette insulte étoit trop forte; la furprise que cette nouvelle lui causa, égala presque son chagrin. Elle ne crut pas devoir reparoître sur un théâtre où Fulvie devoit faire parade de son triomphe. Elle se retira. Les rides vinrent avant qu'elle en put croire fon miroir. Le souvenir des offres qu'elle avoit refusées, lui infpira du mépris pour celles qu'on lui faifoit; elle se renferma dans son ménage, & fit son étude de la médecine & de la cuisine, elle fut affidue au Temple; après avoir été adorée des hommes pendant dix ans, elle devint l'idole des vieilles femmes, & il ne fut plus question de la beauté, qui après avoir fait mille conquêtes, n'avoit pas eu l'adresse d'en conferver

une.

HISTOIRE XIII.

Il est dangereux de trop compter sur des offres avantageuses, & de les refufer lorsqu'on nous les fait.

Près de la maison où logeoit l'infortunée Lyce dans le temps qu'elle se flattoit de captiver le cœur de Celse, vivoit l'enjouée, la volage & l'intrigante Lefbie. Ces qualités, qu'on rencontre rarement dans un même cœur, se trouvoient réunies dans le sien. Elle avoit une fortune médiocre, & une ambition démefurée. Elle étoit belle, & avoit parconséquent quantité de défauts. C'est une espece de privilege attaché à la beauté. Lesbie ne pouvoit fouffrir qu'une femme se crût plus aimable, mieux faite & plus riche qu'elle. Elle rougiffoit jusqu'aux yeux, fi l'on employoit le terme de belle pour exprimer une femme aimable, parce que c'étoit à ce genre de beauté qu'elle afpiroit. Elle quittoit le bal au cas que

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