l'on dit que miff T... dansoit mieux que perfonne; elle jettoit les hauts cris, lorf qu'elle voyoit une Duchesse mieux habillée qu'elle. Lesbie se flattoit de parvenir, à l'aide de fes charmes, à une fortune & à une grandeur au-deffus de sa naissance; & fe repaissant des espérances que lui donnoient ses inférieures, de foumettre tout le monde à ses ordres, elle attendoit de ceux qui pouvoient les réaliser, les égards qu'elle croyoit lui être dus. Elle se fondoit fur l'exemple de sa voisine Ly ce, elle se nourriffoit de chimeres, & les réalisoit dans fon imagination. Toute femme aime à avoir une confidente qui pense, comme elle. Les deux voifines se voyoient journellement, & contracterent à la fin une amitié intime. Lesbie avoit atteint l'âge de vingr quatre ans, elle voyoit le peu de succès des démarches que Lyce avoit faites; fes espérances commencerent à s'évanouir. Elle avoit été témoin de ses liaisons avec Celfe, & elle n'avoit point douté qu'elle ne vînt à bout de se l'attacher; mais le contre-temps qui lui arriva, lui fit appréhender les mêmes fuites pour elle. Peut être ses craintes étoient - elles mal fondées, cependant il n'étoit pas moins vrai que cette femme, qui ne lui cédoit ni du côté des charmes, ni de celui de la fortune, & dont tout le monde faisoit si grand cas, se voyoit abandonnée & réduite à passer le reste de sa vie dans l'obfcurité. Il étoit impossible qu'elle ne fit pas ces réflexions. Quel fonds pouvoitelle faire fur le caprice d'un homme ? Lesbie se voyoit destinée au même fort que Lyce; & quantité de circonstances lui faifoient craindre qu'il ne fût encore plus défavantageux. Sa fortune n'étoir pas de nature à lui faire concevoir de grandes espérances. Elle avoit mange une partie de son capital. Elle ne pouvoit plus compter sur la table de Lyce; elle fe voyoit dans l'état de ceux qui ont fait des dépenses disproportionnées à leurs forces, elle fut réduite à basser de ton; elle se ressouvenoit que toutes ses espérances s'étoient évanouies dans un temps où elles sembloient être le plus assurées; & pour comble de malheur, sa beauté commençoit à se faner; elle se regarda comme une femme entierement perdue. Quiconque a envie de faire fortune, doit paroître n'en avoir pas besoin, & cacher avec foin la médiocrité de celle dont il jouit. C'est une vérité dont tout le monde convient. La retraite de Lyce lui avoit ôté jusqu'à ce moyen. Elle l'avoit invi tée à venir partager les plaisirs de sa retraite; mais elle ne put se réfoudre à accepter fon offre, prévoyant bien qu'en le faisant, elle s'ôtoit tout espoir de réuffir dans quoi que ce fût. Un jour qu'elle rêvoit, en prenant fon chocolat, fur le genre de mort qu'elle choisiroit, fi elle se pendroit, fi elle iroit se jetter dans la Tamise, ou fi elle prendroit de la mort aux rats, sa femme de chambre entra avec un billet, qu'elle lui dit qu'on venoit d'apporter, avec ordre de le rendre en main propre à sa maîtreffe. *Elle avoit été la veille chez la Baronne, & on lui donnoit avis d'une conquête qu'elle avoit faite. Elle ouvrit la lettre en tremblant; elle la lut vingt fois avant que de pouvoir en croire ses yeux; elle fut choquée du nom qui étoit aubas, mais fon contenu étoit trop important, pour ne pas y faire attention. 2 اب MADAME, « Si vous avez consulté votre miroir >>> hier au foir, vous ne ferez pas surprise >> qu'un homme qui vous a toujours pré>> férée à toutes les autres personnes de >> votre sexe, ose vous déclarer ce qu'il >> pense. Si c'est un crime de le faire, ne >> l'imputez qu'à vos charmes; il m'est >> impossible d'y résister plus longtems. >> Je m'estimerois le plus heureux de tous >> les hommes, si vous daigniez agréer >> mes hommages. Mais ce n'est pas de >> quoi il s'agit ici. Tout ce que je vous >> demande, madame, est d'avoir quel>> que égard pour un homme qui fera >> malheureux jusqu'à ce qu'il ait le bon> heur de vous voir; de lui permettre de >> plaider sa cause, encore qu'il s'attende » à la perdre, & de me croire avec le >>> plus profond respect, "MADAME, : >> Votre très-affectionné ferviteur, » E. BRAGG», Une pareille offre de la part d'un joueur E de profession, & d'un filou reconnu pour tel, étoit une insulte qui, dans tout autre teinps, auroit excité le ressentiment de la hautaine Lesbie. La maniere ambiguë dont il s'exprimoir, l'auroit allarmee, & auroit reveillé tout fon courroux; mais il est des moments heureux, & le hazard en avoit procuré un pareil à Bragg. La dame, qui se regardoit comme perdue, s'accrocha à la premiere branche qui se trouva fous sa main; elle ne crut pas que la chose méritât une délibération plus mûre que celle que lui permettoir de prendre le messager qui attendoit fa réponse, & elle lui écrivit ce qui fuit. >>> Le style romanesque de votre lettre >> m'a surprise. Je vous prie de vouloir >> vous expliquer plus clairement. Je vous >> attendrai cette après midi, & je jugerai >> de votre empressement par la prompti>>tude avec laquelle vous vous rendrez >> chez moi ». Bragg, qui connoissoit le monde, foupçonna d'abord que la dame vouloit se moquer de lui; mais il fut affez content de la maniere dont elle lui écrivoit. Il paffa la matinée à lire des vers amoureux ; l'après dînée à s'habiller, & il se renditchez |