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mais la chose lui étoit impossible; &; après l'avoir reçu, il y auroit eu de l'impolitesse à elle de se retirer avant qu'il fût forti. Elle consentit donc à ce qu'elle ne pouvoit éviter; mais elle résolut d'être extrêmement réservée avec un homme qu'elle savoit être son amant, encore qu'elle ne le dît à personne, & de le traiter avec une parfaite indifférence. Elle se prépara à foutenir ses regards d'un air à les faire cesser, & elle l'attendit avec plus de crainte que d'amour.

Mario vint le soir même, & fit une visite fort courte. La mere fut charmée de sa conversation, & quant au pere, il n'eut à se plaindre que de l'indifférence qu'il témoignoit pour fa fille. Lélie écouta les éloges qu'ils lui donnerent; & après qu'il se fut retiré, elle les instruifit de la vérité du fait. Elle leur dit qu'il l'aimoit depuis long - temps; elle leur raconta les peines qu'il s'étoit données pour s'introduire chez elle. Comment, leur

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>> dit-elle, voulez-vous que je reçoive >> un homme dont toute la conduite » n'est qu'un pur artifice; qui vous en >> a impofé, & qui en a impofé au public? * A bras ouverts, reprit brusquement le

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» pére. Ce n'est point sa ruse, mais fon » mérite, qui me le fait estimer; & le >> défaut que vous lui reprochez, eft bien >> moins un vice qu'une vertu. Celui qui, >> parmi un nombre de gens qui vous >> admiroient, lorsque vous étiez mariée, » a été le seul qui ait craint de vous dé>> clarer sa paffion, & qui, pour vous en >> instruire, a choisi son pere pour avo>> cat, dont les vertus sont sans nombre, » & la fortune plus grande que vous n'o>> feriez vous la promettre, mérite quel» que chose de plus que votre approba» tion. Je suis charmé, continua-t-il, » que mon ami pense comme moi; & fi >> j'ai quelque afcendant fur vous, car je >> n'ose vous commander, vous le recehomme qui droit de

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vrez comme un

>> prétendre à votre estime. »

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Lélie fut surprise du discours de fon pere. Il n'étoit pas de son intérêt qu'elle se remariât. Elle avoit cru le flatter, en se déclarant comme elle avoit fait, & elle ne put être plus long-temps insensible à un mérite qui étouffoit toute vue d'intérêt dans l'esprit même de celui qui n'avoit pas les mêmes raisons qu'elle pour le reconnoître. Elle fut honteuse de céder à qui que ce fût la gloire de bien faire. Elle connoissoit les bonnes qualités de Mario, & elle souhaita de se rendre à l'impression qu'elles faifoient fur elle. Elle se sut mauvais gré de ne pas répondre avec la même chaleur aux éloges qu'on lui donnoit, & plus encore d'avouer la raison de son indifférence, ou pour mieux dire de son aversion. Elle avoit regardé les défauts de son mari comme des défauts d'habitude, auxquels il étoit impossible de remédier, & qu'elle n'avoit supportés, que parce qu'il étoit de fon devoir de le faire. Elle attribua fa jalousie à la tendresse qu'il avoit pour elle, & à fon peu d'intelligence; & reconnoiffant lui avoir obligation de la premiere, elle crut ne devoir point le blâmer de la seconde. Elle regarda sa mort comme l'effet de sa jaloufie. Mario en étoit l'objet, & elle le regarda par conféquent comme la cause de sa mort. Elle ne put, de même qu'Andromaque, se réfoudre à épouser le meurtrier de fon mari, avec cette différence qu'Andromaque pouvoit rendre raison de son aversion, au lieu qu'elle ne le pouvoit pas.

Tel étoit l'état de Lélie, lorsque Mario lui écrivit la lettre suivante.

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>> Celui qui avoit résolu de mourir fans » se plaindre pendant qu'il adımiroit la » femme de Marcus, ofe aujourd'hui, >> malgré les craintes & les inquiétudes >> qui le dévorent vous avouer qu'il » aime la veuve. J'ignore la maniere dont >> vous recevrez cette déclaration; mais > ce seroit un crime de vous déguifer la >> vérité dans une occafion auffi impor>> tante. Je ne vous importunerai point >> de mes plaintes, ni de mes protesta>> tions. Je ne vous demande qu'une gra» ce, & c'est, que lorsque j'aurai l'hon>> neur de vous aller rendre visite, vous >> ne me témoigniez point le déplaifir > que vous avez d'avoir lu cette lettre. >> Je ne serai point tranquille jusqu'à ce >> que je sache que vous avez eu la bonté >> de me pardonner la hardiesse que j'ai >> eue de vous l'écrire.»

MARIO.

Le pere étoit en droit de voir le contenu d'une pareille lettre. Quand même la nature le lui auroit refufé, la raison, l'opinion que Lélie avoit de sa prudence, de sa sagesse & de fon humanité, l'auroient engagée à la lui montrer, pour favoir ce qu'il en pensoit. La mere, qui la vit embarraffée, mouroit d'impatience de savoir l'effet qu'elle produiroit fur elle. Elle n'avoit pas lieu de soupçonner qu'elle voulût lui en faire un mystere. Elle baissa les yeux, elle rougit. "Permettez, lui >> dit-elle pour des raisons qui me font >> connues, que je la déchire. J'aurois >> mieux fait de ne pas la lire.

Ce procédé augmenta fon impatience, & celle-ci l'emportant fur toute autre considération. » Je n'ai qu'une grace à » vous demander, lui dit le pere, c'est >> de me montrer le nom de celui qui » vous l'a écrite. » Il fut surpris de voir celui de Mario. Il la pressa de lui en montrer le contenu, & elle se rendit à sa demande. Il la lut tout haut, en regardant attentivement sa fille. La mere s'écria qu'elle ne pouvoit avoir aucune raison à alléguer, & qu'elle ne croyoit îmêîne pas qu'elle en eût aucune de valable. Elle ne sut que répondre aux questions qu'on lui fit, ce qui leur donna lieu de croire que fon indifférence n'étoit qu'affectée. Le

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