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lant point s'en rapporter entierement à elle, dans une affaire aussi importante, elle fut confulter un procureur dont elle connoissoit la probité, & qui avoit travaillé pour sa famille. Elle lui exposa son état, & lui avoua le sacrifice qu'elle étoit sur le point de faire pour l'améliorer. Elle lui fit part de l'avis que lui avoit donné fon amie, & le pria d'examiner le contrat qu'elle avoit en main. Il lui promit de le faire. Son amant vint la voir l'aprèsmidi; il jetta ses lettres de créance fur la table, parmi lesquelles étoit une obligation en forme de lui payer mille livres sterling par an durant sa vie, sous certaines conditions extrêmement modérées; entr'autres, de ne point l'abandonner fans fujet, & de ne voir d'autres hommes que ceux qui lui plairoient, &c. Elle fut furprise, lorsqu'elle reconnut l'écriture d'un homme de pratique. Elle ne put se perfuader que fon amant eut été affez indifcret pour dire fon nom à celui qui avoit dresse le contrat. Il l'assura qu'il l'avoit laisfé en blanc, & ils le lurent ensemble. Lesbie le crut sur sa parole; elle fe fut mauvais gré d'avoir douté de sa probité, & blama beaucoup fon amie des foupçons qu'elle avoit voulu lui inspirer fur fon compte. Pour lui prouver la bonne opinion qu'elle avoit de lui, elle prit une plume & de l'encre, elle remplit les blancs & le figna. Elle fortit pendant quelques minutes, & réfolut de conful-ter quelqu'un, ainsi qu'elle l'avoit fait la premiere fois. L'affaire lui importoit trop pour s'en rapporter à ses propres lumieres. Elle rentra avec un air riant: "Vous ne >> sauriez refter ici cette nuit, lui dit-elle; >> mais mon malheur ne durera que juf>> qu'à demain. » L'amant lui remit le contrat, & l'embrassa tendrement, lui offrant de remplir les blancs. Elle s'y opposa, disant qu'elle ne pouvoit refter avec lum pour cette nuit; mais qu'après qu'il auroit signé, elle ne feroit plus en droit de lui rien refuser.

Ils fouperent ensemble; ils se séparerent fort tard, & 11 lui laissa le contrat en fortant. Elle envoya chercher fon Procureur le lendemain matin; il l'examina, & trouva qu'il étoit faux. Là-dessus elle résolut de se venger de Bragg. Un Procureur est le meilleur confeil qu'on puisse prendre dans pareille occafion. Il lui proposa des moyens pour le faire, & elle les acrepta avec un transport inexprimable. 11 revint l'après-midi avec une obligation en forme de la mêine somme. L'écriture des Procureurs se ressemble fi fort qu'il est aifé de se méprendre. Pour prévenir tout foupçon, celui-ci, à qui elle avoit promis 500 livres sterling, au cas qu'il réuffit, avoit commencé à l'épaisseur d'un cheveu près dans le même endroit du feuillet, & avoir fini de même; toutes les lettres capitales étoient les mêmes, & tous les blancs se trouvoient dans les mêmes endroits. Il remit ce papier à la dame, & l'amant retourna le foir, exrêmement content de ce qu'il avoit fait. Elle lui permit de rester avec elle auffi long-tems qu'il voudroit. Elle feignit d'aller chercher dans un tiroir le contrat qu'elle y avoir mis la veille; & croyant que c'étoit le même qu'il lui avoit laiffé, il en remplit les blancs de sa propre main, & le signa en présence de deux domeftiques. La dame leur dit qu'elle avoit époufé M. Bragg; elle ordonna le fouper, & celui-ci reçut les compliments de fes amis, de même que fi fon mariage avoit été contracté avec les formalités requises. Bragg, qui connoissoit mieux ses intérêts qu'aucune personne que ce fût, & qui n'étoit pas d'huineur d'acheter à un prix aussi exhorbitant la chose dont il avoit lieu d'être sfatisfait, trouva le moyen extraordinaire d'épargner son argent, en le prodiguant. Il s'attendoit bien qu'indépendainment du contrat, la dame exigeroit de lui mille petites générosités, & il les lui prodigua: dix livres sterling qu'on facrifie pour une femme dans une partie de plaifir, la flattant infiniment plus que cinquante qu'on lui donneroit en argent comptant. Bragg le savoit, aussi avoit-il soin de lui procurer le plus de parties de plaifir qu'il pouvoit. Elles étoient d'autant moins fufpectes, qu'il passoit pour être son mari; on ne pouvoit se laffer d'admirer sa complaisance, & on le regardoit comme le meilleur des maris. L'appeller ainfi, c'étoit reconnoître que Lesbie étoit la meilleure femme du monde. Ils étoient continuellement ensemble; tous les honnêtes gens se faifoient un plaifir d'être de leurs parties; chacun félicitoit Lesbie des complaisances que fon mari avoit pour elle, & de l'affection qu'il lui témoignoit. Cela répondoit en partie aux vues de Bragg, qui étoient étoient d'éviter par ces dépenses superflues celles que fa maîtresse lui auroit infailliblement occasionnees, s'il avoit fallu répondre à toutes ses demandes. Il réuffit comme il le defiroit. Sa maîtresse avoit toujours la bourse garnie, il l'accabloit de présents; & comme ce n'étoit l'intérêt ni de l'un ni de l'autre de parler d'une chose qui auroit pu occasionner une dif pute entre eux, fix mois se passerent fans qu'elle lui deınandât la somme qu'il lui avoit promise, & fans que Bragg se mît en devoir de la lui offrir.

Ravi de ce succès, Bragg continua d'em ployer les mêmes moyens qui le lui avoient procuré. Il n'épargna ni les présents ni les politesses; sa maîtresse étoit exactement payée de ses lettres de change, elle ne manquoit de rien, & elle laissa passer les fix autres mois comme elle avoit fait les premiers. Sachant l'un & l'autre qu'ils se brouilleroient infailliblement lorsqu'ils en viendroient à une demande, ils éviterent tous deux de la faire. Tous deux heureux dans leur engagement, ils écarterent tout ce qui pouvoit le rompre. Lesbi fut d'autant plus portée à re tarder le payenment de ce qu'il lui devoit Tome II.

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