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que les intérêts de la somme couroient toujours; aufli fut-elle trois ans fans faire valoir ses prétentions. La somme se trouva pour lors fi fort augmentée, qu'elle n'eut plus à craindre les effets d'une querelle. Elle la demanda, & Bragg, après en avoir éludé quelque temps le payement, la refufa tout net. Il lui dit qu'elle avoit lieu d'être contente de la façon dont il en avoit agi avec elle, qu'ils vivoient ensemble depuis trois ou quatre ans comme mari & femme, qu'il avoit partagé sa fortune avec elle, & qu'elle étoit la maîtreffe de continuer de vivre avec lui fur le même pied, à moins qu'elle ne trouvât à faire mieux. Il ajouta qu'il étoit honteux de l'obligation qu'il lui avoit faite; & qu'il ne pouvoit comprendre comment elle avoit pu se perfuader qu'elle fût valide, qu'à moins qu'elle ne changeât de conduite, elle pouvoit continuer de vivre avec lui sur le même pied jusqu'à sa mort; & qu'au cas qu'il vint à mourir le premier, il ne l'oublieroit point dans fon teftament.

La dame feignit d'être surprise de son • procédé, & chargea fon Procureur de lui répondre. M. Bragg fut arrêté le lendemain matin pour 3000 livres sterling. Il se moqua de la démarche du Procureur, & dit à sa maîtresse en présence des Officiers de Justice, qu'elle savoit elle-même qu'il ne lui devoit pas un fou. Il l'appella dans un coin de la chambre, & lui dit à l'oreille: "Madame, vous êtes sur le bord >> du précipice fans vous en apercevoir: >> ce moment va vous rendre heureuse ou >> malheureuse pour le reste de vos jours. >> Vous savez que vous ne pouvez rien >> exiger de moi, & je vous dirai que l'o>> bligation que je vous ai faite, ne vaut >> rien. Si vous voulez rester avec moi, >>> vous êtes la maîtresse, sinon je vais >> mettre oppofition à votre demande, en >> apprenant au Bailli ce que toute la ville >> saura demain. Ne vous opiniâtrez donc >> point, & ne vous exposez pas à vous >> perdre & à vous deshonorer, tandis que >> vous pouvez continuer de vivre com>> me vous avez vécu jusqu'ici. >>

La Dame se moqua de fes menaces, & il commença de les mettre en exécution. Il dit au Bailli, en présence de fon Greffier, qu'elle étoit sa P.... qu'il l'entretenoit depuis trois ou quatre ans; mais ⚫ que s'étant laffée de lui, elle lui avoit intenté cette action infame. Il ajouta qu'il alloit la mettre à la porte, & que tout feroit dit. Lesbie avoit beaucoup de cou rage; elle se rit de ses menaces, & dit à P'Officier, que fon débiteur étant entre fes mains, elle étoit peu en peine de ce qu'il lui devoit. Ce fur envain qu'il proPola posa au Bailli de le relâcher sur sa parole; la somme étoit trop considérable, & d'ailleurs il répondoit de sa personne. Il étoit difficile que quelqu'un voulût fe porter pour caution; mais il y a plusieurs moyens de se tirer de ces fortes de cas. Toute la fortune de Bragg étoit en argent comptant. Il l'envoya retirer des mains de fon banquier, & la mit entre les inains de deux marchands, par forme d'indemnité; & lorsqu'ils eurent répondu pour lui, il chargea fon Procureur de poursuivre l'affaire. Lesbie se tint pendant tout ce temps-là sur ses gardes, & Bragg, qui connoissoit le monde, & qui d'ailleurs étoit assuré de son fait, negligea de se tenir fur les fiennes. Lesbie lui ordonna de fortir de chez elle, & lui dir de se fouvenir de l'obligation qu'il lui avoit faite. Le Procureur, qui l'avoit dressée, étoit dans les intérêts de Lesbie. Il la pria de garder le secret, prévoyant bien que cette affaire l'enrichiroit infailliblement. Elle fut portée à différents Tribunaux, par les intrigues des Procureurs, & du consentement des parties, qui étoient bien aises de se haraffer réciproquement. Bragg crut faire un coup de maître de tenir sa partie en suspens durant une année entiere pour la ruiner. Son Procureur, qui avoit fes vues, lui avança de l'argent, & l'année ne fut pas plutôt expirée qu'il le fit de nouveau arrêter pour 1000 livres sterling de plus. Il trouva une nouvelle caution qui répondit pour lui: il s'infcrivit en faux, & obtint un nouveau délai. Lesbie se perdit entierement de réputation, car elle ne pouvoit continuer ses poursuites qu'en renonçant au titre de femme. Tout le monde fut furpris de la dépense qu'elle. faifoit. Le Procureur avoit fon but: & comme il trouvoit son intérêt à lui four*nir de l'argent, & que l'obligation étoit bonne, il ne l'en laissa point manquer. Lesbie, pour empêcher qu'on ne la crût pauvre, affecta de vivre plus splendidement qu'elle n'avoit encore fait. On fut qu'elle rejettoit tout accommodement, qu'elle ne voyoit personne: on en fut

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furpris, mais on ne tarda pas à apprendre de quoi il s'agissoit.

Bragg fut arrêté six mois après pour 500 liv. fterling: il configna encore cette somme entre les mains des Marchands qui lui fervoient de caution, mais il fallut en venir à un jugement décisif. La moiffon étoit mûre, & les Procureurs savoient qu'une fentence absorberoit ce qui restoit. Bragg étoit assuré de son fait: fon Procureur étoit hardi, & l'on produisit l'obligation. On ne pouvoit douter de sa validité. Le défendeur prétendit qu'on la lui avoit surprise, mais tout déposoit contre lui: il fut condamné. Voyant que nonseulement il feroit obligé de lui payer toute la fomine, mais encore de lui continuer la pension qu'il lui avoit assurée, il prit le parti de se sauver en France. Les Marchands qui lui avoient servi de caution, emporterent les sommes qu'ils avoient en main. Les Procureurs en furent pour leurs écritures, & la dame fut ruinée de fond en comble.

Telle fut la fin de cette femme intri-.. gante, ambitieuse & libertine. Lesbie avoit affez de bien pour vivre à fon aife en province: elle voulut rester à Londres,

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