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SOMMAIRE.

Interruption du récit. Commencement de l'amour d'Eudore pour Cymodocée, et de Cymodocée pour Eudore. Satan veut profiter de cet amour pour troubler l'Église. L'Enfer. Assemblée des démons. Discours du démon de l'homicide. Discours du démon de la fausse sagesse. Discours du démon de la volupté. Discours de Satan. Les démons se répandent sur la terre.

D

ÉJA le récit d'Eudore s'étoit prolongé jusqu'à la neuvième heure du jour. Le soleil dardoit ses rayons brûlants sur les montagnes de l'Arcadie, et les oiseaux muets étoient retirés dans les roseaux du Ladon. Lasthénès invita les étrangers à prendre un nouveau repas, et leur proposa de remettre au jour suivant la fin de l'histoire de son fils. On quitta l'ile et les deux autels, et l'on regagna en silence le toit hospitalier.

A peine quelques mots interrompus se firent entendre le reste de la journée. L'évêque de Lacédémone paroissoit profondément occupé de l'histoire du fils de Lasthénès. Il admiroit la peinture de l'état de l'Église et de ses progrès dans tout le monde. Il voyoit figurer au milieu de ce tableau les hommes que les fidèles avoient à craindre, et dont les caractères tracés par Eudore ne promettoient qu'un sombre avenir. Cyrille reçut même de Rome des nouvelles alarmantes, qu'il ne crut pas devoir communiquer à la vertueuse famille.

Eudore à son tour étoit loin d'être tranquille. Il portoit au pied de la croix des tribulations intérieures; il ignoroit encore qu'elles étoient une suite des desseins de Dieu. Il redoubloit de prières et d'austérités; mais au travers des pleurs de la pénitence, ses yeux apercevoient malgré lui les beaux cheveux, les mains d'albâtre, la taille élégante et les grâces ingénues de la fille d'Homère. Il voyoit sans cesse ses doux et timides regards attachés sur lui, ses traits charmants où se venoient peindre tous les sentiments qu'il exprimoit et même ceux qu'il n'exprimoit point encore. Quelle naïve pudeur embellissoit la vierge innocente, lorsqu'il racontoit les coupables plaisirs de Rome et de Baïes! Quelle pâleur mortelle couvroit ses joues, lorsqu'il décrivoit des combats, ou qu'il parloit de blessures et d'esclavage!

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La prêtresse des Muses éprouvoit de son côté des sentiments confus et une émotion nouvelle. Son esprit et son cœur sortoient en même temps de leur double enfance. L'ignorance de son esprit s'évanouissoit devant la raison du christianisme; l'ignorance de son cœur cédoit à cette lumière qu'apportent toujours les passions. Chose extraordinaire, cette jeune fille ressentoit à la fois le trouble et les délices de la sagesse et de l'amour!

<< Mon père, disoit-elle à Démodocus, quel divin étranger nous a conviés à ses banquets! Combien le fils de Lasthénès est grand par le cœur et par les armes! N'est-ce point un de ces premiers habitants du monde que Jupiter a transformés en

dieux favorables aux mortels? Jouet des cruelles

destinées, que de combats il a livrés! que de maux il a soufferts! O Muses chastes et puissantes! ô mes divinités tutélaires! où étiez-vous lorsque d'indignes chaînes pressoient de si nobles mains? Ne pouviez-vous faire tomber les liens de ce jeune héros au son de vos lyres? Mais, prêtre d' Homère, toi qui sais toutes choses et qui as la sage retenue des vieillards, dis: quelle est cette religion dont parle Eudore? Elle est belle, cette religion! elle approche le cœur de la justice, elle apaise les folles amours. Celui qui la suit est toujours prêt à secourir le malheur, comme un voisin généreux, sans se donner le temps de prendre sa ceinture. Allons dans les temples immoler des brebis à Cérès qui porte des lois, au Soleil qui voit l'avenir. La robe traînante, la coupe des libations à la main, faisons le tour des autels arrosés de sang, pétrissons les gâteaux sacrés, et tâchons de découvrir quel est le génie inconnu qui protége Eudore... Je sens qu'une divinité mystérieuse parle à mon cœur...... Mais une vierge doit-elle pénétrer les secrets des jeunes hommes, et chercher à connoître leurs dieux ? La pudeur lèvera-t-elle son voile pour interroger les oracles? »

En achevant ces mots, Cymodocée remplit son sein de larmes qui couloient de ses yeux.

Ainsi le ciel rapprochoit deux cœurs dont l'union devoit amener le triomphe de la croix. Satan alloit profiter de l'amour du couple prédestiné, pour faire naître de violents orages, et tout marchoit à

l'accomplissement des décrets de l'Éternel. Le prince des ténèbres achevoit dans ce moment mème la revue des temples de la terre. Il avoit visité les sanctuaires du mensonge et de l'imposture, l'antre de Trophonius, les soupiraux de la sibylle, les trépieds de Delphes, la pierre de Teutatès, les souterrains d'Isis, de Mitra, de Wishnou. Partout les sacrifices étoient suspendus, les oracles abandonnés, et les prestiges de l'idolâtrie près de s'évanouir devant la vérité du Christ. Satan gémit de la perte de sa puissance; mais du moins il ne cèdera pas la victoire sans combat. Il jure, par l'éternité de l'enfer, d'anéantir les adorateurs du vrai Dieu, oubliant que les portes du lieu de douleur ne prévaudront pas contre la bien-aimée du Fils de l'Homme. L'archange rebelle ignore les desseins de l'Éternel, qui va punir son Eglise coupable; mais il sent que la domination sur les fidèles lui est un moment accordée, et que le ciel le laisse libre d'accomplir ses noirs projets. Aussitôt il quitte la terre et descend vers le sombre empire.

Tel qu'on voit au sommet du Vésuve une roche calcinée suspendue au milieu des cendres; si le soufre et le bitume rallumés dans la montagne obscurcissent le soleil, font bouillonner la mer et chanceler Parthénope comme une bacchante enivrée, alors la cime du volcan change sa forme mobile, la lave s'affaisse, la pierre roule et rentre en grondant au fond des entrailles brûlantes qui l'avoient rejetée ainsi Satan, vomi par l'enfer, se replonge dans le gouffre béant. Plus rapide que la

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pensée, il franchit tout l'espace qui doit s'anéantir un jour; par-delà les restes mugissants du chaos, il arrive à la frontière de ces régions impérissables comme la vengeance qui les forma; régions maudites, tombe et berceau de la mort, où le temps ne fait point la règle, et qui resteront encore quand l'univers aura été enlevé ainsi qu'une tente dressée pour un jour. Une larme involontaire mouille les yeux de l'esprit pervers, au moment où il s'enfonce dans les royaumes de la nuit. Sa lance de feu éclaire à peine autour de lui l'épaisseur des ombres. Il ne suit aucune route à travers les ténèbres; mais, entraîné par le poids de ses crimes, il descend naturellement vers l'enfer. Il ne voit pas encore la lueur lointaine de ces flammes qui brûlent sans aliments, et pourtant sans jamais s'éteindre, et déjà les gémissements des réprouvés parviennent à son oreille. Il s'arrête, il frémit à ce premier soupir des éternelles douleurs. L'enfer étonne encore son monarque. Un mouvement de remords et de pitié saisit le cœur de l'archange rebelle.

« C'est donc moi, s'écrie-t-il, qui ai creusé ces << prisons et rassemblé tous ces maux! Sans moi le a mal eût été inconnu dans les œuvres du Tout

Puissant. Que m'avoit fait l'homme, cette belle «et noble créature ?.... »

Satan alloit prolonger les plaintes d'un repentir inutile, quand la bouche embrasée de l'abîme venant à s'ouvrir le rappela tout à coup à d'autres pensées.

Un fantôme s'élance sur le seuil des portes

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