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PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ET DE LA SECONDE ÉDITION.

J'ai avancé, dans un premier ouvrage, que la religion chrétienne me paroissoit plus favorable que le paganisme au développement des caractères et au jeu des passions dans l'épopée. J'ai dit encore que le merveilleux de cette religion pouvoit peut-être lutter contre le merveilleux emprunté de la mythologie. Ce sont ces opinions, plus ou moins combattues, que je cherche à appuyer par un exemple.

Pour rendre le lecteur juge impartial de ce grand procès littéraire, il m'a semblé qu'il falloit chercher un sujet qui renfermât dans un même cadre le tableau des deux religions, la morale, les sacrifices, les pompes des deux cultes; un sujet où le langage de la Genèse pût se faire entendre auprès de celui de l'Odyssée; où le Jupiter d'Homère vînt se placer à côté du Jehovah de Milton, sans blesser la piété, le goût et la vraisemblance des mœurs.

Cette idée conçue, j'ai trouvé facilement l'époque historique de l'alliance des deux religions.

La scène s'ouvre au moment de la persécution excitée par Dioclétien, vers la fin du troisième siècle. Le christianisme n'étoit point encore la religion dominante de l'empire romain; mais ses autels s'élevoient auprès 'des autels des idoles.

Les personnages sont pris dans les deux religions: je fais d'abord connoître ces personnages; le récit montre ensuite l'état du christianisme dans le monde

connu, à l'époque de l'action; le reste de l'ouvrage développe cette action, qui se rattache par la catastrophe au massacre général des chrétiens.

Je me suis peut-être laissé éblouir par le sujet : il m'a semblé fécond. On voit, en effet, au premier coup d'œil, qu'il met à ma disposition l'antiquité profane et sacrée. En outre, j'ai trouvé moyen, par le récit et par le cours des événements, d'amener la peinture des différentes provinces de l'empire romain; j'ai conduit le lecteur chez les Francs et les Gaulois, au berceau de nos ancêtres. La Grèce, l'Italie, la Judée, l'Égypte, Sparte, Athènes, Rome, Naples, Jérusalem, Memphis, les vallons de l'Arcadie, les déserts de la Thébaïde, sont les autres points de vue ou les perspectives du tableau.

Les personnages sont presque tous historiques. On sait quel monstre fut Galérius. J'ai fait Dioclétien un peu meilleur et un peu plus grand qu'il ne le paroît dans les auteurs de son temps; en cela j'ai prouvé mon impartialité. J'ai rejeté tout l'odieux de la persécution sur Galérius et sur Hiéroclès.

Lactance dit en propres mots :

Deinde..... in Hieroclem, ex vicario præsidem, qui auctor et consiliarius ad faciendam persecutionem fuit 1. «....... Hiéroclès, qui fut l'instigateur et l'auteur de « la persécution. »

Tillemont, après avoir parlé du conseil où l'on mit en délibération la mort des chrétiens, ajoute :

a Dioclétien consentit à remettre la chose au conseil, << afin de se décharger de la haine de cette résolution « sur ceux qui l'avoient conseillée. On appela à cette « délibération quelques officiers de justice et de guerre,

De Mortib, persec., cap. xvI.

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« lesquels, soit par inclination propre, soit par complaisance, appuyèrent le sentiment de Galérius. Hié«roclès fut un des plus ardents à conseiller la persé«cution 1. »

Ge gouverneur d'Alexandrie fit souffrir des maux affreux à l'Église, selon le témoignage de toute l'histoire. Hiéroclès étoit sophiste, et, en massacrant les chrétiens, il publia contre eux un ouvrage intitulé Philaléthès ou Ami de la vérité. Eusèbe 2 en a réfuté une partie dans un Traité que nous avons encore; c'est aussi pour y répondre que Lactance a composé ses Institutions 3. Pearson 4 a cru que l'Hiéroclès persécuteur des chrétiens étoit le même que l'auteur du Commentaire sur les vers dorés de Pythagore. Tillemont semble se ranger à l'avis du savant évêque de Chester; et Jonsius 6, qui veut retrouver dans l'Hiéroclès de la Bibliothèque de Photius l'Hiéroclès réfuté par Eusèbe7, sert plutôt à confirmer qu'à détruire l'opinion de Pearson. Dacier, qui, comme l'observe Boileau, veut toujours faire un sage de l'écrivain qu'il traduit, combat le sentiment du savant Pearson; mais les raisons de Dacier sont foibles, et il est probable que Hiéroclès, persécuteur et auteur du Philaléthès, est aussi l'auteur du Commentaire.

1 Mém. ecclés., tom. v, pag. 20, édit. in-4°. Paris.

2 EUSEBII CESARIENSIS in Hieroclem liber, cum Philostrato editus. Paris, 1608.

3 LACT., Instit., lib. v, cap. 1.

4 Dans ses prolégomènes sur les ouvrages d'Hiéroclès, imprimés en 1673, tom. 11, p. 3-19.

5 Mém. ecclés., tom. v, 2e édit., in-4°. Paris, 1702.

6 De Scriptoribus historiæ philosophica. Francof., 1659, lib. III, cap. xvIII.

7 Pour soutenir son opinion, Jonsius est obligé de dire que cet Eusèbe n'est pas celui de Césarée.

8 Bolæana.

D'abord vicaire des préfets, Hiéroclès devint ensuite gouverneur de la Bithynie. Les Ménées1, saint Épiphane 2, et les actes du martyre de saint Édèse 3 prouvent que Hiéroclès fut aussi gouverneur de l'Égypte, où il exerça de grandes cruautés.

Fleury, qui suit ici Lactance en parlant d'Hiéroclès, parle encore d'un autre sophiste qui écrivoit dans le même temps contre les chrétiens. Voici le portrait qu'il fait de ce sophiste inconnu :

« Dans le même temps que l'on abattoit l'église de Ni« comédie, il y eut deux auteurs qui publièrent des écrits << contre la religion chrétienne. L'un étoit philosophe de « profession, mais dont les mœurs étoient contraires à <«< la doctrine : en public il commandoit la modération, « la frugalité, la pauvreté; mais il aimoit l'argent, le < plaisir et la dépense, et faisoit meilleure chère chez <«<lui qu'au palais : tous ses vices se couvroient par «<l'extérieur de ses cheveux et de son manteau....... << Il publia trois livres contre la religion chrétienne. Il << disoit d'abord qu'il étoit du devoir d'un philosophe « de remédier aux erreurs des hommes....., qu'il vou<«<loit montrer la lumière de la sagesse à ceux qui ne << la voyoient pas, et les guérir de cette obstination qui « les faisoit souffrir inutilement tant de tourments. Afin « que l'on ne doutât pas du motif qui l'excitoit, il s'éten<< doit sur les louanges des princes, relevoit leur piété « et leur sagesse, qui se signaloient même dans la dé«fense de la religion, en réprimant une superstition impie et puérile 4. »

La lâcheté de ce sophiste, qui attaquoit les chrétiens

1 Menæa magna Græcorum, pag. 177, Venet., 1525.

* EPIPHANII Panarium adversus hæreses, pag. 717. Lutetiæ, 1622. 3 De Martyr. Palæst., cap. iv. Euseb.

Hist. eccl., liv. VIII, tom. II, pag. 420, édit. in-8°. Paris, 1717.

tandis qu'ils étoient sous le fer du bourreau, révolta les païens mêmes, et il ne reçut pas des empereurs la récompense qu'il en attendoit 1.

Ce caractère, tracé par Lactance, prouve que je n'ai donné à Hiéroclès que les mœurs de son temps. Hiéroclès étoit lui-même sophiste, écrivain, orateur et persécuteur.

«L'autre auteur, dit Fleury, étoit du nombre des « juges, et un de ceux qui avaient conseillé la persécu«tion. On croit que c'étoit Hiéroclès, né en une petite << ville de Carie, et depuis gouverneur d'Alexandrie. « Il écrivit deux livres qu'il intitula Philaléthès, c'est«à-dire Ami de la vérité, et adressa son discours aux «< chrétiens mêmes, pour ne pas paroître les attaquer, « mais leur donner de salutaires conseils. Il s'efforçoit « de montrer de la contradiction dans les Écritures <«< saintes, et en paroissoit si bien instruit, qu'il sem«bloit avoir été chrétien 2. »

Je n'ai donc point calomnié Hiéroclès. Je respecte et honore la vraie philosophie. On pourra même observer que le mot de philosophe et de philosophie n'est pas une seule fois pris en mauvaise part dans mon ouvrage. Tout homme dont la conduite est noble, les sentiments élevés et généreux, qui ne descend jamais à des bassesses, qui garde au fond du cœur une légitime indépendance, me semble respectable, quelles que soient d'ailleurs ses opinions. Mais les sophistes de tous les pays et de tous les temps sont dignes de mépris, parce qu'en abusant des meilleures choses, ils font prendre en horreur ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes.

Je viens aux anachronismes. Les plus grands hommes que l'Église ait produits ont presque tous paru entre

LACT., Instit., lib. v, cap. iv, pag. 470. 2 Hist. eccl., lib. vii, tom. II, in-8°.

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