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la tête nue et le visage tourné vers l'orient, se plaça debout sous l'arbre domestique. Les bergers et les moissonneurs se mirent à genoux sur du chaume nouveau, autour de leur maître. Le père de famille prononça à haute voix cette prière, qui fut répétée par ses enfants et par ses serviteurs :

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<< Seigneur, daignez visiter cette demeure pen<< dant la nuit, et en écarter les vains songes. Nous << allons quitter les vêtements du jour, couvrez-nous « de la robe d'innocence et d'immortalité que nous «< avons perdue par la désobéissance de nos pre«miers pères. Lorsque nous serons endormis dans « le sépulcre, ô Seigneur, faites que nos âmes re"posent avec vous dans le ciel ! >>

Quand cela fut fait, on entra dans la maison, où se préparoit le repas de l'hospitalité. Un homme et une femme parurent, portant deux grands vases d'airain pleins d'une eau échauffée par la flamme. Le serviteur lava les pieds de Démodocus; la servante, ceux de la fille de Démodocus; et, après les avoir oints d'une huile de parfums d'un grand prix, elle les essuya avec un lin blanc. La fille aînée de Lasthénès, du même âge que Cymodocée, descendit dans un souterrain frais et voûté. On conservoit dans ce lieu toutes sortes de choses pour la vie de l'homme. Sur des planches de chêne attachées aux parois du mur, on voyoit des outres remplies d'une huile aussi douce que celle de l'Attique; des mesures de pierre en forme d'autel, ornées de têtes de lion, et qui contenoient la fine fleur du froment; des vases de miel de Crète, moins blanc,

mais plus parfumé que celui d'Hybla; et des amphores pleines d'un vin de Chio devenu comme un baume par le long travail des ans. La fille de Lasthénès remplit une urne de cette liqueur bienfaisante, propre à réjouir le cœur de l'homme dans l'aimable familiarité d'un repas.

Cependant les serviteurs ne savoient s'ils devoient apprêter le festin sous la vigne, ou sous le figuier comme dans un jour de réjouissance. Ils vont consulter leur maître. Lasthénès leur ordonne de dresser dans la salle des Agapes une table d'un buis éclatant. Ils la lavent avec une éponge, et la couvrent de corbeilles d'osier, pleines d'un pain sans levain, cuit sous la cendre. Ils apportent ensuite, dans des plats d'une simple argile, des racines, quelques volatiles et des poissons du lac Stymphale, nourriture destinée à la famille; mais on servit pour les étrangers un chevreau qui avoit à peine goûté l'arbousier du mont Aliphère, et le cytise du vallon de Ménélée.

Au moment où les convives alloient s'approcher de la mense hospitalière, une servante vint dire à Lasthénès qu'un vieillard, monté sur un âne, et tout semblable à l'époux de Marie, s'avançoit par l'avenue des cèdres. On vit bientôt entrer un homme d'un visage vénérable, portant, sous un manteau blanc, un habit de pasteur. Il n'étoit pas naturellement chauve; mais sa tête avoit été jadis dépouillée par la flamme, et son front montroit encore les cicatrices du martyre qu'il avoit éprouvé sous Valérien. Une barbe blanche lui descendoit jusqu'à la

ceinture. Il s'appuyoit sur un bâton en forme de houlette, que lui avoit envoyé l'évêque de Jérusalem simple présent que se faisoient les premiers Pères de l'Église, comme l'emblème de leur fonction pastorale et du pèlerinage de l'homme ici-bas.

C'étoit Cyrille, évêque de Lacédémone laissé pour mort par les bourreaux dans une persécution contre les chrétiens, il avoit été élevé malgré lui au sacerdoce. Il se cacha long-temps pour se dérober à la dignité épiscopale; mais son humilité lui fut inutile: Dieu révéla aux fidèles la retraite. de son serviteur. Lasthénès et sa famille le recurent avec les marques du plus profond respect. Ils se prosternèrent devant lui, baisèrent ses pieds sacrés, chantèrent Hosanna, et le saluèrent du nom de très saint, de très cher à Dieu.

«Par Apollon, s'écria Démodocus, agitant sa branche de laurier entourée de bandelettes, voilà le plus auguste vieillard qui se soit jamais offert à mes yeux! O toi qui es chargé de jours, quel est ce sceptre que tu portes? Es-tu un roi, ou un prêtre consacré aux autels des dieux? Apprends-moi le nom de la divinité que tu sers, afin que je lui immole des victimes. >>

Cyrille regarda quelque temps avec surprise Démodocus; puis, laissant échapper un aimable sourire :

Seigneur, répondit-il, ce sceptre est la houlette. qui me sert à conduire mon troupeau : car je ne suis point un roi, mais un pasteur. Le Dieu qui reçoit mon sacrifice est né parmi les bergers dans

une crèche. Si vous voulez, je vous apprendrai à le connoître pour toute victime, il ne vous demandera que l'offrande de votre cœur. »

Cyrille se tournant alors vers Lasthénès :

« Vous savez le sujet qui m'amène. La pénitence publique de notre Eudore remplit nos frères d'admiration; chacun en veut pénétrer la cause. Il m'a promis de me raconter son histoire; et, dans les deux journées que je viens passer avec vous, j'espère qu'il voudra me satisfaire. »>

Les serviteurs approchèrent alors les siéges de la table. Le prêtre d'Homère prit sa place à côté du prêtre du Dieu de Jacob. La famille se rangea autour du festin. Démodocus, saisissant une coupe, alloit faire une libation aux pénates de Lasthénès; l'évêque de Lacédémone l'arrêtant avec bénignité : «Notre religion nous défend ces signes d'idolâtrie: vous ne voudriez pas nous affliger. »

La conversation fut tranquille et pleine de cordialité. Eudore lut, pendant une partie du repas, quelques instructions tirées de l'Évangile et des Épttres des Apôtres; Cyrille commenta, de la manière la plus affectueuse, ce que dit saint Paul sur les devoirs des époux. Cymodocée trembloit; des larmes rouloient, comme des perles, le long de ses joues virginales; Eudore éprouvoit le même charme; les maîtres et les serviteurs étoient attendris. Ceci, avec l'action de grâces, fut le repas du soir chez les chrétiens.

Le repas fini, on alla s'asseoir à la porte du verger, sur un banc de pierre qui servoit de tribunal

à Lasthénès, lorsqu'il rendoit la justice à ses serviteurs.

Ainsi qu'un simple pasteur que le sort destine à la gloire, l'Alphée rouloit au bas de ce verger, sous une ombre champêtre, des flots que les palmes de Pise alloient bientôt couronner. Descendu du bois de Vénus et du tombeau de la nourrice d'Esculape, le Ladon serpentoit dans les riantes prairies, et venoit mêler son cristal pur au cours de l'Alphée. Les profondes vallées, arrosées par les deux fleuves, étoient plantées de myrtes, d'aunes et de sycomores. Un amphithéâtre de montagnes terminoit le cercle entier de l'horizon. La cime de ces montagnes étoit couverte d'épaisses forêts peuplées d'ours, de cerfs, d'ânes sauvages et de monstrueuses tortues, dont l'écaille servoit à faire des lyres. Vêtus d'une peau de sanglier, des pasteurs conduisoient, parmi les roches et les pins, de grands troupeaux de chèvres. Ces légers animaux étoient consacrés au dieu d'Épidaure, parce que leur toison étoit chargée de gomme qui s'attachoit à leur barbe et à leur soie lorsqu'ils broutoient le ciste sur des hauteurs inaccessibles.

Tout étoit grave et riant, simple et sublime dans ce tableau. La lune décroissante paroissoit au milieu du ciel, comme les lampes demi-circulaires que les premiers fidèles allumoient aux tombeaux des martyrs. La famille de Lasthénès, qui contemploit cette scène solitaire, n'étoit point alors occupée des vaines curiosités de la Grèce. Cyrille s'humilioit devant la puissance qui cache des sources

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