à l'amour. Elle répondit à fes avances, & il en fut extrêmement flatté. Un homme qui n'a jamais été aimé par une femme vertueufe, ne fauroit concevoir ce qu'Amoris fentit dans cette occafion. Les déclarations qu'il avoit faites à Janthe n'étoient pas plus finceres que celles qu'il avoit faites à d'autres, mais elles le de-, vinrent par la maniere dont elle les reçut. Si quelqu'un lui avoit dit qu'il devoit aimer, & ruiner fa fortune par un attachement infenfé, il l'auroit regardé comine un vifionnaire; s'il avoit fu que la chofe devoit arriver, il fe feroit tenu fur fes gardes; & s'il ne le fit point, ce fut parce que la chofe lui parut impoffible. Il ne fe plaifoit que dans fa compagnie; il fe fâchoit lorfque quelqu'autre lui par loit; il foupiroit, en un mot, il éprouvoit effectivement ce qu'il avoit feint de fentir pour les autres femmes. La belle s'en aperçut & s'en félicita; elle fe moqua de ceux qui lui dirent qu'il lui en impofoit, & fans s'embarraffer de fa fortune, elle crut qu'il étoit de fon intérêt de continuer comme elle avoit commencé. Ils étoient continuellement enfemble. Leurs entretiens ne rouloient que fur l'amour; l'amour; elle lui propofa de l'époufer ils convinrent du jour, & Amoris devint extrêmement rêveur. » Il dit à fa » maîtreffe qu'il ne lui en avoit point impofé fur fa paffion, qui étoit véri » table, mais fur fa fortune ». Je dépends, » lui dit-il d'un oncle, & je crains de » perdre fes bonnes graces, fi j'épouse une fille fans fortune. Voulez-vous en courir les rifques? Pouvez-vous confentir » à une alliance qui cauferoit ma ruine » fi mon oncle venoit à l'apprendre? Etes » vous d'humeur de la tenir fecrette? La ré ponse étoit aifée. Cette fille généreufe l'aiinoit, & n'avoit aucune vue mercénaire; elle lui dit qu'il n'y avoit aucune condition à laquelle elle ne foufcrivit, pour avoir le bonheur d'être fa femme. Ils fe marierent, ils étoient heureux, & perfonne ne favoit leur fecret. Ce n'eft pas la coutume des nouveaux mariés de trahir leurs cœurs; mais ceux-cile firent. Amoris étoit malheureux, fi Janthe n'étoit pas des parties qu'il faifoit; Janthe ne parloit que d'Amoris: s'ils étoient abfents, leurs langues les trahiffoient; s'ils étoient préfents, c'étoient leurs yeux. On s'apperçut de la tendreffe qu'ils avoient l'un Tome II. L pour l'autre; ils confentirent de faire courir le bruit qu'ils n'étoient point mariés, & l'on foupçonna'qu'ils avoient une liaifon criminelle. Les femmes, lorfqu'elles ont conçu du foupçon contre quelqu'une de leurs femblables, font infatigables dans leurs recherches. Elles guêterent Amoris; elles épierent Janthe. Elles détouvrirent que lorfque l'un étoit abfent, l'au tre l'étoit auffi, qu'ils étoient pendant ce temps-là ensemble, qu'ils n'admettoient aucun tiers dans ces occafions. Elles firent courir le bruit qu'ils fe donnoient rendez-vous dans une maifon particuliere. Janthe fe vit abandonnée par les femmes; les hommes conçurent de l'envie contre Amoris; tous deux garderent un profond filence. Janthe devint enceinte, & continua de garder fon fecret. Rien n'eft plus terrible pour une femme que de perdre fa réputation, lorfqu'elle l'a mérité mais le choc eft moins terrible, lorfqu'elle eft affurée de fa vertu & de fon innocence. Janthe regarda avec mépris ceux qui la railloient faute de la connoître; elle ne porta aucune envie à celles qui jouiffoient d'une réputation qu'elles ne méritoient point, tandis qu'elles facri fioient cette vertu, qu'elle prenoit tant de foin de conferver. Les fecours qu'Amoris recevoit de fon oncle, lui furent d'une grande reffource dans la circonftance préfente. L'un & l'autre avouerent ce qu'il leur étoit im poffible de cacher. L'oncle en fut averti, & ne parut pas trop fâché de cette aventure, après qu'il en eut appris toutes les circonftances. Il la regarda comme une intrigue qui ne pouvoit que faire honneur à fon neveu parmi les femmes d'efprit (il appelloit ainfi les femmes qui se marient à leur défavantage); il trouva qu'il s'étoit comporté en homme d'honneur, & lui fit tenir les fonds néceffaires pour accréditer fa fortune & fa naiffance. Les hommes font beaucoup plus portés pour le vice que pour la vertu. On fut gré à Amoris d'avoir féduit une fille d'honneur, & cette conduite qui auroit dû le perdre, fut ce qui le fauva, ainfi que fon patron l'avoit prévu. Les femmes concurent de l'eftime pour lui, & s'emprefferent de cultiver fon amitié. Celinde fut du nombre; elle aimoit Amoris, maîs avant de fe déclarer, elle voulut favoir an jufte quel étoit l'état de fes affaires. Elle fit écrire à l'oncle, & il fe prêta d'autant plus volontiers à fa propofition, qu'elle étoit conforme au plan qu'il avoit formé. Il lui envoya un état de fes affaites; tout le monde connoiffoit fa fituation, on favoit qu'il n'y avoit pas d'apparence qu'il eût des enfants. Il lui marqua qu'il avoit toujours en deffein de laiffer fon bien à Amoris, qu'il l'avantageroit dans cette occafion, &lui affureroit après fa mort tout ce qu'il poffédoit. Ces conditions plurent à la dame. L'oncle écrivit à Amoris, & lui envoya une copie de la lettre qu'il avoit écrite à fa maîtreffe. Il lui ordonna d'avoir tous les égards poffibles pour la demoifelle, de la prévenir fur fon mariage, & de la laiffer comme il l'avoit prife. Janthe accoucha dans ces entrefaites, & Amoris n'en devint que plus amonreux. Il étoit à côté de fon lit forfqu'il reçut les lettres de fon oncle, mais elles firent fur lui une toute autre impreffion que celle à laquelle il s'étoit attendu. II efforça de cacher le chagrin qui le dévoroit, mais fes larmes le trahirent. Janthe fut touchée de fon état, & le preffa de lui en dire la caufe. Il jetta les lettres |