fur fon lit, & elles l'inftruifirent de fon malheur. Ils jugerent qu'il ne leur reftoit d'autre parti à prendre que celui de diffimuler, & ils réglerent leur conduite en conféquence. Amoris écrivit à fon oncle une lettre de remerciment, & lui marqua qu'il alloit prendre les mefures néceffaires pour rompre l'engagement qu'il avoit contracté. Ils convinrent des heures de leurs entrevues, & réglerent leur conduite de maniere à prévenir les foupçons qu'on pouvoit avoir fur leur compte. Un des expédients qu'imagina l'amant, fue de fe rendre défagréable au prétendu objet de fon adoration, fous prétexte de vouloir captiver fon eftime. Lorfqu'un homme a le cœur bon, il eft rare que le mariage ne le corrige tôt ou tard de fès égarements. Amoris changea entierement de conduite, & n'eut plus d'attachement que pour Janthe. Elle fut ravie de fon changement, elle fe regarda comme la plus heureufe de toutes fes femmes. Tous deux trembloient cepen dant dans l'attente de l'orage qui les me naçoit; mais comme ils avoient pris leurs mefires, ils efpererent à l'aide de leur prudence & de leur réfolution de conduire leur vaiffeau à bon port. Il eft honteux pour l'hu manité que les vices & les folies des hommes trouvent plus d'encouragement que leurs versus. C'eftce qu'éprouvaAmoris.Le vice peut avoir fon utilité. Notre fortune ne dépend pas toujours des gens vertueux. L'oncle s'embarraffoit fort, peu que fon neveu fît des baffeffes, pourvu qu'elles le conduififfent à la fortune, & le jeune homme fe perdit pour avoir été trop ver tueux. Son oncle le preffa de rompre inceffamment avec Janthe, & il lui promit de le faire. En conféquence, il lui fit une remife pour lui en faciliter les moyens, & il s'en fervit pour colorer une démarche qu'il n'avoit pas envie de faire. Janthe difparut fans qu'on fut ce qu'elle etoit devenue, & l'amant fut fi bien fe ménager,que perfonne ne foupçonna qu'il la vît encore. L'oncle arriva dans ces entrefaites, & applaudit beaucoup à la conduite que fon neveu avoit tenue dans circonftance auffi critique. Il le mena chez la dame, la tranchée fut ouverte dans les formes, & il y avoit tout lien de croire que la place ne tarderoit ne tarderoit pas à fe rendre. Il n'étoit plus queftion pour Amoris que d'éloigner ce mariage, en même temps qu'il feignoit de faire les démarches néceffaires pour le hâter. Il fe chargea d'une partie du projer, & fes émisfaires fe chargerent de l'autre. Ils ne perdirent aucune occafion de le diffamer pendant fon abfence, mais Celinde n'ajouta point de foi à leurs propos, s'imaginant qu'ils ne parloient ainfi que par envie. Voyant que ce moyen ne réuffiffoit point, l'amant affecta tout-à-coup de l'indifférence pour elle; mais comme elle avoit du difcernement, elle ne tarda pas deviner la caufe. à en Janthe ayant appris le mauvais fuccès des tentatives de fon amant, fur fur le point de fuccomber à fa douleur. Elle prévit la ruine dont elle étoit menacée. Elle comprit qu'une femme auffi opiniâtre ne négligeroit rien pour hâter la conclufion de fon mariage. Celinde agit comme Janthe s'y étoit attendue; elle envoya chercher l'oncle; elle fit mille careffes à fon amant, elle le railla de la modeftie qui l'avoit empêché de prendre jour pour fon mariage, & lui demanda, en lui faifant une profonde révérence, s'il vouloit le conclurre le lendemain. Il fur fi bien fe contrefaire, que l'oncle & la dame y furent trompés. On envoya chercher le Notaire pour dreffer le contrat, & il demanda une semaine pour le faire, ce qui ranima les espérances de notre amant. Ce contre-temps chagrina extrêmement la dame, & l'amant fut fi bien diffimuler, qu'on auroit cru à le voir qu'il en étoit auffi fâché qu'elle. Janthe partagea toutes les terreurs de cette premiere fcène, & n'apprit que le foir, le court répit qu'on lui avoit accordé. Amoris mit tout en ufage pour le dégoûter; il feignit d'avoir des engagements ailleurs, & elle s'en moqua; il engagea fes amis à faire courir le bruit qu'il alloit l'époufer; elle crut que cela devoit être, & peu lui importa qu'on le fût ou non. Il feignit d'être inconftant, & elle lui dit, que s'il l'étoit effectivement, il auroit foin de le cacher. Croyant cependant entrevoir de l'indiffé rence à travers ce déguisement: » Vous êtes trop madefte, mon cher Amoris, » lui dit-elle. Nous avons changé de rôle. دو Vous êtes la maîtreffe, & je fuis l'a"mant. Vous favez que la polireffe doit » être d'un côté, & vous me l'avez cé« dée. Soyez réservé, fantasque, inconf » tant, perfide même fi vous le voulez, » comme je joue le rôle d'homme fur »ce théâtre, je comprends tout ce que » cela veut dire ; je fais que ce font là des "artifices de femme. Continuez cette farce jufqu'à vendredi, & après cela » permettez-moi de donner ma main à » un autre ». Telle fut la conduite d'une femme qui aimoit paffionnément fon amant, & qui ne méprifa fon averfion, que parce qu'elle ne puts'imaginer qu'elle fût réelle. Amoris voyant que tous les fubterfuges qu'il employoit n'aboutiffoient à rien, abandonna le gouvernail & fon vaiffeau à la merci des flots. On ne fauroit taxer un pareil défefpoir de foibleffe, après les contre-temps qu'il avoit éprouvés. Janthe compatit à fon malheur, mais elle n'étoit pas en droit de le blâmer. La tâche lui étoit maintenant dévolue ; & comme elle n'avoit point le talent de diffimuler, elle réfolut de s'en tenir à la pure vérité. Elle écrivit donc à l'oncle pour l'inftruire de ce qui en étoit ; elle lui avoua qu'elle étoit la femme d'Amoris, & prit fur elle tout le blâme de la démarche qu'il avoit faite. » Votre ne |