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tôt ou tard. Elle fait qu'un objet perd une partie de fon mérite, à proportion qu'on le voit de plus près, & que lorfqu'on le poffede, on ne s'en foucie plus du tout. C'eft-là ce qui arrive par rapport à cette paffion, & il n'eft par conféquent pas étonnant que les gens fages en craignent les fuites. Il feroit peut-être à fouhaiter qu'on eût égard à d'autres motifs dans la difpofition générale des cœurs, ou, pour parler plus jufte, que les hommes fe mariaffent par raifon, plutôt que par.goût. Les inclinations varient infiniment plus que les vifages, & il n'y en a aucune qui ne trouve à s'affortir avec une autre. Les plus nobles ne font admirées que de la multitude, puifqu'elle ne fauroit les admirer qu'elle ne les connoiffe: elles font donc faites pour elle, je veux dire qu'il faut qu'elles aient des charmes pour elle, puifqu'elle en fait cas; & quant aux autres, elles font le partage de ceux qui n'ont pas les yeux affez clairvoyants pour les découvrir.

Ce qu'on n'a jamais pu pratiquer dans le monde, eut lieu par rapport à cette aimable veuve. L'amour étoit tel qu'il der voit être du côté de l'homme, & il trou

voit dans la femme toutes les vertus qu'il pouvoit defirer. Lélie n'envisagea jamais la paffion. Il n'y a aucune différence entre le parfait amour & la parfaite obéiffance. Mario, condamné au filence, parla, agit, penfa, comme fi les ordres qu'elle lui avoit donnés euffent étouffé tous fes fentiments. Il étoit lié en qualité d'ami avec une femme à laquelle il desiroit de plaire; & fa conduite avoit pour une femme auffi vertueufe & auffi clairvoyante qu'elle, tout ce qui eft capable de faire aimer un homme. Le dégoût que certains objets nous infpirent, diminue à mesure que nous nous familiarifons avec eux. Notre veuve s'accoutuma infenfiblement à Mario. Heureusement pour lui, elle ne l'avoit point inftruit de la caufe de fon averfion, & ce fut un bonheur pour elle qu'il ne s'en douta ja~ mais. Si elle l'avoit avouée, elle n'auroit pu, fans fe deshonorer, abandonner la réfolution qu'elle avoit prife; & s'il l'avoit fue, il auroit été obligé de la combartre, ce qui n'auroit fervi qu'à la fortifier davantage. Il ne convenoit point à un amant de renouveller les larmes qu'elle avoit verfées à l'occafion de la mort de fon

mari,

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mari, & c'étoit beaucoup que de le lui faire oublier.

Notre veuve, après avoir vu Mario fans répugnance, commença à l'honorer & à l'eftimer. Elle fut fenfible aux éloges que fes parents lui donnoient, elle étoit fâchée lorfqu'il ne venoit point à l'heure marquée; elle goûtoit les fentiments qu'il faifoit paroître dans la converfation, & approuvoit les actions qui en étoient la fuite. Elle accorda son estime à un homme qui n'ofoit lui déclarer fon amour, & elle conçut pour lui une paffion qu'il ne s'étoit jamais flatté de lui infpirer. Voilà comment une femme d'efprit eft la dupe de fon cœur, & le perd. Le donner au hazard, c'eft folie ; l'accorder à qui le mérite, c'eft fageffe. Mario, qui n'avoit ofé folliciter ce qu'il defiroit, eut de la peine à croire ce qu'il voyoit. Cette aimable créature s'aperçut de fa foibleffe, elle la découvrit par quantité de paroles qui lui échaperent; pere & la mere triomphoient; l'amant étoit le feul qui feignit de ne point s'en apercevoir. La modeftie de fon amant acheva de ferrer les chaînes que fon mérite lui avoit données. Elle ne pouvoit Tome II:

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fupporter fon abfence; elle ne pouvoit s'empêcher de le regarder; elle n'étoit éloquente que lorfqu'il s'agiffoit de le louer. Elle fut honteufe qu'il ne répondit point à fa pathon, elle rougir de ce que la tendreffe étoit toute de fon côté; & elle attendit avec impatience une déclaration qu'elle lui avoit défendu de lui faire.

La prudence avoit guidé Mario dans le cours de ce dangereux voyage. Il conmut fa fituation, & il eut recours au pilote qui l'avoir conduit à la vue du port pour y entrer. Il crut qu'il étoit temps de fe déclarer. Le pere & la mere, voyant leur embarras, réfolurent de leur faciliter un éclairciffement qui ne pouvoit que contribuer à leur bonheur & à leur repos. Mario les rencontra un foir en carroffe comme il alloit chez eux; il fut furpris de ne point voir la fille. Ils lui dirent qu'ils retourneroient au bout de demiheure, & lui firent promettre de venir les rejoindre.

Mario vit pour la premiere fois en particulier l'objet qu'il adoroit. Il lui prit la main,& fe jetta à fes genoux. » Ce n'eft, lui dit-il, que dans cette pofture, que

,, adore ».

j'ofe vous déclarer combien je vous La confufion de la dame fut telle, qu'elle l'empêcha de lui répondre, mais elle le releva d'un air qui refpiroit la tendreffe. On eft épris d'une foible paffion, lorfqu'on a la force de la décrire ; le véritable amour eft muet. Il n'appartient qu'aux yeux de parler dans ces oc-. cafions; ils ont une tendreffe que la nature a refufée aux paroles. Nos deux amants fe dirent peu de chofe pendant l'abfence de leurs parents; mais ils en dirent affez pour s'entendre. La parole leur revint lorfqu'ils furent de retour. Ce fur alors que l'amant déclara au pere les tranfports qu'il n'avoit ofé manifefter en présence de fa maîtreffe ; & que la dame avoua à fa mere qu'elle ne croyoit point qu'il y eût du crime à reconnoître le mérite d'un homme qui lui en avoit donné tant de preuves.

On ne fauroit concevoir combien il eft confolant, pour un amant modefte & vertueux, de s'expliquer devant un tiers. Sa préfence lui eft auffi agréable qu'elle eft importune à un homme qui n'a que des vucs deshonnêtes: il peut dire alors à l'objet de fa paffion quantité de choses

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