CARACTERES MODERNE S. HISTOIRE XI. Avantage de la complaifance. IEN des gens donnent fouvent dans l'intrigue, faute de connoître les talents qu'ils ont pour réuffir par une autre voie. Tel étoit le cas de Mario, qui après avoir adoré la femme de Marcus pendant la vie de fon mari, devint fon amant déclaré dès l'instant qu'elle fut veuve. Il n'avoit que vingt-trois ans. Il joignoit à la figure la plus aimable un air gracieux & riant, beaucoup de politeffe, & un penchant naturel à obliger. Il poffédoit naturelle Tome II. A ment cette complaisance, que bien des perfonnes s'efforcent en vain d'acquérir avec le fecours de l'art. Quoique les amants foient portés à fe faire valoir, il arrive cependant fouvent que cette même paffion à laquelle ils doivent les bonnes qualités qui les rendent aimables, les empêchent de les manifef ter, en les rendant timides. Tel étoit encore le cas de Mario. Cette phyfionomie ouverte, cette gaîté d'efprit, cette politeffe qui auroit dû le faire aimer, étoit éclipfée par un certain air d'abattement & de mélancholie qu'on apercevoit fur fon vifage. Il avoit trop de difcernement pour voir Lélie avec indifférence, & trop d'honneur pour fonger à fatisfaire une paffion, dont le fuccès n'auroit fervi qu'à le rendre méprisable à fes yeux. Ces difficultés ne fubfiftoient plus, & Mario, que le filence qu'il étoit obligé de garder réduifoit au désespoir, fe vit alors en état de parler & d'efpérer. Il étoit unique rejerton d'une trèsbonne famille. Il avoit hérité fort jeune d'une fortune confidérable, & fon tuteur avoit eu foin de l'augmenter pendant fa minorité. On lui avoit conseillé d'étudier le Droit pour apprendre à conferver fort bien, & fon tuteur, pour lui infpirer du goût pour Coke & Littleton, l'avoit fixé Grais'inn. Doué de toutes les qualités capables de conquérir le cœur d'autrui, le fien ne reçut aucune bleffure jufqu'au moment où il vit Lélie. Il avoit trop de probité pour feindre un amour qu'il ne fentoit point. Le défefpoir dans lequel il la trouva, lui donna quelque efpoir de réuffir là où les autres amants font affurés du fuccès. Il regarda celle qui captivoit fon cœur, non point comme une divinité qu'il ne devoit adorer que dans l'éloigne ment, mais comme une mortelle qu'il devoit approcher. L'ardeur de fon amour fut tempérée par fon jugement; & connoiffant le prix de fa conquête, il prit tous les moyens néceffaires pour fe l'affurer. Il craignoit les horreurs d'un refus il réfolut de s'en garantir en ne lui faifant aucune déclaration. Lélie étoit une femme dont on ne pouvoit gagner le cœur qu'après s'être rendu maître de fon efprit: il réfolut donc de mériter son eftime, avant de lui parler de fon amour; & il crut que le moyen le plus propre pour être bien venu auprès d'elle, étoit de fe mettre fous la protection d'une perfonne dont elle fît cas. Il prit fa réfolution dès qu'il le crut néceffaire. Perfuadé que fes prétentions étoient raisonnables, il crut qu'elles feroient d'autant mieux écoutées, qu'elles feroient plus finceres. Il comprit que perfonne n'étoit plus propre que fon lui procurer la connoiffance d'une perfonne qui ne pouvoit fe difpenfer de le confulter fur fon choix, & il réfolut de captiver fa bienveillance avant de lui ou vrir fon cœur. pere La fortune que Marcus avoit laiffée en mourant à fa femme, avoit mis fa famille fur un autre pied qu'elle n'étoit auparavant. Les hommes font naturellement portés à faire leur cour aux gens riches, encore qu'ils ne doivent point profiter de leur opulence. Le pere étoit très-bien venu par-tout; & comme il avoit la prudence de cacher les circonftances les moins favorables de fa vie, on regarda fa conduite comme l'effet du goût qu'il avoit pris pour ce même monde auquel il avoit renoncé. Mario trouva le moyen de lier connoiffance avec lui, & il ne lui fur pas difficile de s'en faire aimer. Il fut charmé |