prit pour l'effet de la coutume & du caractere, lui parut être l'effet d'une conquête, & de l'impreffion que fes charmes avoient fait fur elle. Il refta avec elle jufqu'à l'entrée de la nuit. Il fe leva alors pour fe retirer, & Lyce eut de la peine à fe perfuader qu'il fût fi tard. Il réitéra fa vifite le lendemain, & il fut reçu comme il l'avoit été la veille. Il ne put cacher fon triomphe : Lyce rougit de fa foibleffe, & la tante les blâma tous deux. Il foupa avec elles, & au fortir de table, elles l'inviterent à faire une partie. Les dames drefferent le plan qu'elles propofoient de fuivre l'été fuivant, relativement aux endroits où il fe propofoit d'aller. Celfe étoit l'étoile polaire qui dirigeoit leur route. Il les quitta le matin & ne fe coucha qu'au point du jour; mais, fes tranfports furent tels, qu'il lui fut impoffible de fermer l'œil. Il venoit de faire une conquête dont il étoit entierement affuré; il ne s'agiffoit plus que de l'ufage qu'il vouloit en faire. Avec un autre homme, l'honneur de Lyce auroit été l'objet des tentatives de Celfe: Il fe contenta de la réputation de l'avoir en fon pouvoir. Le chemin qui conduifoit à l'un, étoit plein d'embarras & de difficultés ; l'autre étoit plus court & plus aifé. Il ne perdit point le premier de vue; mais le dernier fut la feule chofe qui l'occupa. Il vouloit montrer fon pouvoir; il étoit empreffé de faire parade de fa conquête. Il réfolut de traiter cette folle avec quelque ménagement le lendemain au foir, & de montrer au public le pouvoir qu'il avoit eu de donner à une femme des fers qu'elle avoit jufqu'alors donnés aux autres. C'étoit à Ranelagh qu'il l'avoit vue pour la premiere fois, & ce fut là auffi qu'il vou Îut fairè parade de la victoire qu'il venoit de remporter. Il lui écrivit le lende main matin pour lui propofer cette partie, & en attendant le retour du meffager, il ne fut occupé que de la maniere dont il s'habilleroit pour triompher d'elle. Lyce ne s'occupoit pas moins de fa conquête, que Celfe de la fienne. Elle avoit en peine à fixer fon amant; elle lui avoit plus cédé qu'elle n'avoit jamais cédé à aucun autre. Elle trouva qu'elle l'avoit fuffifamment engagé dans fes fers, & elle fe crut allez vengée des affronts qu'elle avoit reçus dans les foumiffions qu'elle MODERNE S. 47 lui avoit faites. Elle paffa plufieurs heures à réfléchir fur les moyens qu'elle pour roit employer pour mortifier fon amant, & l'expofer au ridicule. Elle le vit dans un jour différent de celui dans lequel il la voyoit; cette affaire, qu'il traitoit de bagatelle, lui parut extrêmement férieufe & elle réfolut de faire en forte qu'il la trouvât telle. Elle comprit le but de fon amant, & elle le méprifa au lieu de le haïr. Elle s'attendoit à l'attaque, & elle s'y prépara. Elle avoit appris la maniere dont il avoit traité plufieurs femmes qui avoient été éprises de lui; elle vit que le même fort l'attendoit, & elle fe tint fur fes gardes. Pendant qu'elle méprifoit & haïffoit la vanité & la perfidie de fon amant, elle ne put s'empêcher d'admirer ce qu'il avoit d'estimable. Elle connoiffoit fes bonnes qualités, le talent qu'il avoit de plaire & de faire le bonheur d'une femme qui en feroit digne; mais ces mêmes qualités lui parurent enfevelies parmi quantité d'autres mauvaises. Elle l'aimoit parce qu'il lui reffembloit; elle aimoit même fes défauts, & elle fe rendit à la raison pour la premiere fois de fa vie. Elle connoiffoit fa fortune & fon caractere, & elle forma le projet insensé ou raifonnable (appellez le, lecteur, felon que les qualités de l'un & de l'autre le méritent) de tirer parti de fes défauts & de fes égarements, & de le fixer dans cette amitié éternelle qu'il lui promit la premiere fois qu'il la vit. Voilà les vues fous lefquelles ces deux perfonnes extraordinaires fe regardoient l'une & l'autre. Lyce fe tenoit en garde contre fes attaques. D'un autre côté, sa conduite paroiffoit une énigme à Celfe, parce qu'elle étoit fondée fur un plan trop romanefque pour qu'il pût la comprendre, encore qu'il en eût été flatté. La facilité avec laquelle Celfe avoit réuffi avec toutes les maîtreffes, n'avoit pas peu conses tribué à fon dégoût, de là vient que leur regne avoit été de peu de durée. On fe laffe bientôt de ce qu'on pofféde; mais il n'en eft pas de même lorfqu'on efpere. Voilà pourquoi les femmes d'efprit ménagent ceux qui ont deffein de pouffer la galanterie à un point plus effentiel que celui que Celfe fe propofoit. Sures qu'on les méprifera après qu'elles auront tout donné, elles n'en viennent là qu'après avoir pourvu à tous leurs befoins; & lorfqu'elles lorfqu'elles font laffes de leur amant, elles lui accordent ce qui devroit le lier à elles pour jamais. amants, Tel étoit à peu près le plan de nos quoiqu'ils employaffent des moyens différents. Lyce, réfolue de faire une nouvelle efpece de conquête de fon héros, prit de nouvelles mefures; & dans la réfolution où elle étoit de confervef l'autorité qu'elle avoit acquife, elle lui refufa les petites libertés qu'elle prévoyoit devoir la lui faire perdre. Telle étoit la fituation de fon cœur; telles étoient fest réfolutions, lorfqu'elle reçut l'invitation de Celfe. Elle treffaillit en lifant la lettre. Sa tante fe moqua de fes crainres; mais elle perfifta dans fon opinion, encore qu'elle fût incapable de s'attacher cet infidele. L'amant attendoit impatiemment le billet qui devoit l'affurer de fon triomphe, lorfqu'il en reçut un qui n'étoit point favorable à fes intentions. Lyce accepta la partie qu'il lui proposoit, mais fon étoile capricieufe la porta à aller paffer une semaine à Richmond. Elle lui marqua donc que s'il vouloit venir la voir dans fa retraite, fa présence donneroit une nouvelle verdure aux arbres, & une nouTome II. D |