correfpondance entre deux perfonnes d'efprit, toutes deux coquettes, & qui employoient l'une contre l'autre les batteries dont elles s'étoit fervies pour fubjuguer les deux fexes. Trop méfiantes pour compter fur leur métite, quoiqu'elles cruffent en avoir beaucoup, elles firent ufage de leur efprit & de leur adresse : toutes deux aimoient; toutes deux étoient affurées de leur conquête; mais connoiffant leur inconftance, chacune craignoir celle de l'autre. C'eft ainfi que deux joueurs jouent enfemble, faute de trouver des dupes. Celfe aperçut dans Lyce tous les charmes qu'il pouvoit defirer dans une femme; Lyce de fon côté vit dans Celfe toutes les qualités qui peuvent rendre un homme aimable. Ils s'aimoient, & ils fe craignoient l'un l'autre. Cette correfpondance qui naquit de leur petite querelle, répondit beaucoup mieux à leurs fins, que ne l'auroit fait l'amitié la plus intime. Elle leur fournit le moyen d'exercer le talent qu'ils avoient de plaire; elle leur donna le temps de réfléchir fur les démarches qu'il convenoit de faire dans une affaire auffi importante. Lyce vit dans Celfe un homme qui ne pouvoit être contenu que par la févérité & la réferve. Celfe vit dans Lyce une femme qu'on ne pouvoit gagner que par le défefpoir; qui, pendant qu'elle l'aimoit, & qu'elle l'avouoit, ne lui donnoit pas la inoindre lueur d'efpérance. Ce projet étoit à la vérité étrange, mais il devoit répondre à fes vues. Il acheva de part & d'autre une conquête qu'on n'eût point obtenue par une autre voie; & on auroit dû s'attendre à voir un temps, où ces deux perfonnes qui s'aimoient paffionnément, eurent une entiere confiance l'une dans l'autre. Il y a un dictum parmi les peintres manum de tabula, qui les fait fouvenir du temps où il convient de quitter leurs tableaux. C'eft en effet une fcience que de favoir quitter le pinceau à temps, & il s'en eft trouvé plufieurs qui ont gâté leurs ouvrages pour avoir voulu trop les finir. Les amants tombent fouvent dans le même défaut. Il y eut un temps où Lyce n'avoit qu'à fe rendre pour s'affurer de fon amant. Son bonheur dépendoit plus du fuccès de fes complaifances, que celui de Celfe; car les femmes font beaucoup plus amoureufes que les hommes. Celfe, après lui avoir écrit une lettre dans laquelle il lui marquoit fon défefpoir, & la réfolution où il étoit de ne plus prétendre à fon amour, & de fe borner à fon amitié, vint la voir un jour pour l'inftruire de fes prétentions. Lyce auroit dû faifir ce moment; mais qui eft celle qui ne fait point de faute? Affurée de fa conquête, elle refufa de le recevoir. Il favoit qu'elle étoit au logis; il fut outré de cet affront, & après avoir réfléchi pendant deux minutes, pour fe rappeller l'endroit où logeoit la plus belle femme de fa connoiffance, il fe rendit chez Fulvie. Il entra avec un air de gaieté extraor dinaire, & fit paroître beaucoup d'efprit dans la converfation. Tout le monde favoit la paffion qu'il avoit pour la divine Lyce, & l'on n'eut pas plutôt appris qu'il l'avoit abandonnée, qu'on fe mit à glofer fur fon compte. Il écouta tranquillement, il renchérit fur les éloges qu'on fit de fon efprit, de fa beauté & de fon affabilité; & lorfqu'il vit qu'on le croyoit réellement amoureux d'elle, il fe mit à parler de fes défauts. Vous vous moquez de nous, lui dit l'aimable Ful vie. Pourquoi, reprit Celfe, n'aurois-je pas la même liberté que vous? On reprit la conversation, & Celfe parla de Lyce comme d'une femme vaine, qui avoit pris fes politeffes pour une déclaration d'amour, & qui s'étoit appropriée les éloges qu'il avoit fait de fon fexe, comme s'ils lui euffent été légitimement dus. Il s'efforça de leur prouver qu'il n'avoit jamais fenti la moindre paffion pour elle, & finit par leur dire que s'il y avoit au monde une femme pour laquelle il fe fentît de l'inclination, c'étoit celle à qui il faifoit cet aveu. Fulvie étoit affez belle pour mériter un pareil compliment; elle en fentit toute la force. Ils pafferent la foirée affez agréablement, & Celfe trouva l'occafion de lui dire en fortant à l'oreille: «Je ne fais » comment un pareil aveu m'eft échappé; j'aurois été ravi de vous le faire à vous» même; voulez-vous me permettre de » vous entretenir demain là-deffus? La dame y confentit en rougiffant; elle lui dit qu'elle regardoit ce qu'il difoit comme une raillerie; mais qu'elle lui permettoit de la continuer auffi longtemps qu'il lui plairoit. Il fut la voir le lendemain; il ; plaida fa caufe, & Fulvie trouva fon offre trop avantageufe pour la rejetter. Elle obtint par fa prudence, ce que Lyce avoit perdu par la coquetterie. Elle voyoit un des plus aimables homines du monde à fes pieds, l'expectative d'une fortune aussi confidérable qu'elle pouvoit l'attendre elle regarda les égarements de fa vic comme des effets de fa jeuneffe, & comme une chose à laquelle le mariage mettroit fin; elle ne douta point que les mêmes qualités qui lui avoient mérité fon amour, ne contribuaffent à le lui conferver & à le guérir de fes folies; elle fe flatta de pouvoir réformer fa conduite, elle envifagea les fuites de cette réforme dans le jour le plus avantageux; & ce qui la flatta encore davantage, fut l'envie que tout fon fexe lui porteroit. Lyce ne fut point allarmée de ce nouvel engagement. Elle le regarda comme un artifice dont il fe fervoit pour lui caufer de la jaloufie, & rallumer fa paffion. Elle le vit faire fa cour à Fulvie en public, elle apprit ce qu'on difoit des déclarations qu'il lui avoit faites; elle crut pénétrer fa rufe, & elle feignit de la méprifer. Dupe de fon propre fyftême, elle continua |