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Quel triomphe pour lui s'il nous voit séparés !
Sans secours,
en ses mains nous nous verrions livrés ;
Dieu nous a prévenus: l'ennemi nous assiége.
Non loin d'ici peut-être il nous prépare un piége.
Nous avons tout promis, nous devons tout à Dieu :
Nous séparer de lui, Satan, voilà ton vœu !
L'amour doit offenser un cœur nourri de haine;
Notre plus grand plaisir est ta plus grande peine.
Chère Eve, au nom de Dieu, demeure à mon côté ;
Il fut ton origine, il est ta sûreté.

De celle que la honte ou le danger menace,

Je le répéte encor, la véritable place

Est près de son époux; il prévient le danger,
Et si le mal arrive, il sait le partager. »

A ces mots, sa compagne aussi chaste que pure,
S'affligeant d'un soupçon dont sa gloire murmure,
Lui répond d'un air triste ensemble et gracieux:
« Cher époux ! noble enfant de la terre et des cieux!
Je connois nos dangers ; je sais quel artifice
D'un ennemi caché prépare la malice;

Et ta voix, cher époux, et l'envoyé des cieux
Ne m'ont que trop appris ses projets odieux.
Hier, lorsque nos fleurs refermoient leurs calices,
Quand, près de retourner aux célestes délices,
Raphaël te faisoit les adieux du départ,
De retour du travail, et couchée à l'écart,
Sous ce berceau voisin, je l'écoutois; sa bouche
Te parloit de dangers, d'un ennemi farouche:

As we (not capable of death or pain)
Can either not receive, or can repel.

His fraud is then thy fear; which plain infers'
Thy equal fear, that my firm faith and love
Can by his fraud be shaken or seduc'd;

Thoughts, which how found they harbour in thy breast, Adam, mis-thought of her to thee so dear? »

To whom with healing words Adam replied: Daughter of God and man, immortal Eve! For such thou art; from sin and blame entire : Not diffident of thee do I dissuade

Thy absence from my sight, but to avoid

The'

attempt itself, intended by our foe.

For he who tempts, though in vain, at least asperses
The tempted with dishonour foul; suppos'd

Not incorruptible of faith, not proof

Against temptation: thou thyself with scorn
And
anger wouldst resent the offer'd wrong,
Though ineffectual found: misdeem not then,
If such affront I labour to avert

From thee alone, which on us both at once

The

enemy, though bold, will hardly dare;

Ces dangers, fuyons-les, j'y consens, mais que moi
Dont mon Dieu, mon époux, ont éprouvé la foi,
Parcequ'un noir esprit médite des vengeances,
Tu m'oses affliger d'injustes défiances!
L'ange n'en a rien dit, Ève rien entendu.

Non, mon cœur à ce coup ne s'est point attendu.
Que crains-tu, cher Adam? est-ce la force ouverte?
Nous sommes immortels; ainsi donc notre perte
Doit venir de la ruse. Elle peut quelque jour,
Malgré tous mes serments de respect et d'amour,
Dans une erreur coupable entraîner ma foiblesse !...
Cher Adam! d'où te vient ce soupçon qui me blesse?
En ai-je mérité l'humiliant aveu?»>

« O fille de la terre! ô chef-d'œuvre de Dieu! Toi qui reçus de lui la vie et l'innocence,

Non, je ne te crains point, mais je crains ton absence.
Seule à notre ennemi pourquoi donc t'exposer?
Satan peut te flétrir, s'il ne peut t'abuser;
L'espoir de te séduire est lui-même un outrage.
Ignores-tu sa ruse et sa perfide rage?

Ah! s'il a pu changer en vils séditieux

Ces esprits immortels, ces purs enfants des cieux,
Combien pour nous le traître est plus à craindre encore!

Accepte donc l'appui d'un époux qui t'adore;
Moi-même, près de toi, plus prudent et plus fort,
Pour ne pas succomber redoublerai d'effort.
Ton époux n'oseroit faillir en ta présence;

Un seul de tes regards soutiendra ma constance.

Or daring, first on me the' assault shall light.
Nor thou his malice and false guile contemn;
Subtle he needs must be, who could seduce
Angels; nor think superfluous others' aid.
I, from the influence of thy looks, receive
Access in every virtue; in thy sight
More wise, more watchful; stronger, if need were
Of outward strength; while shame, thou looking on,
Shame to be overcome or over-reach'd,

Would utmost vigour raise, and rais'd unite.

Why shouldst not thou like sense within thee feel
When I am present, and thy trial choose

With me,

best witness of thy virtue tried? »

So spake domestic Adam in his care
And matrimonial love; but Eve, who thought
Less attributed to her faith sincere,

Thus her reply with accent sweet renew'd:

« If this be our condition, thus to dwell
In narrow circuit straiten'd by a foe,
Subtle or violent, we not endued
Single with like defence, wherever met;
How are we happy, still in fear of harm?
But harm precedes not sin: only our foe,
Tempting, affronts us with his foul esteem
Of our integrity: his foul esteem

Sticks no dishonour on our front, but turns

Foul on himself: then wherefore shunn'd or fear'd

Rien près de toi, non, rien ne sauroit m'ébranler,
Et, près de moi, toi-même aurois moins à trembler.
Oui, ce qu'Ève est pour moi, je le serai pour elle;
Donc, s'il faut cette épreuve à ton ame fidéle,
Va, parois hardiment dans ce champ glorieux;

Mais prends-moi pour témoin, et combats sous mes yeux. »

Tel Adam alarmé fait parler sa tendresse,
Sa prudence attentive et sa mâle sagesse.
Ève, craignant toujours qu'on soupçonne son cœur,
Exhale encore ainsi sa plaintive douleur:

« Ainsi donc, en ces lieux et la force et l'adresse
Par un double danger nous menacent sans cesse.
Ah! si chacun de nous ne peut impunément,
Pour errer à son choix, quitter l'autre un moment,
Où donc est le bonheur? La honte suit le crime.
Si de nos propres cœurs nous conservons l'estime,
Notre honneur dépend-il des attentats d'autrui?
Non, l'ennemi n'aura déshonoré que lui.

Que craignons-nous? sans risque on n'obtient point de gloire;
Plus grand fut le danger, plus grande est la victoire.

T. XV. PARADIS PERDU. III.

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