lement, & dont les officiers ne sont pas toûjours les maistres. La grandeur des Villes n'est pas moins furprenante que leur nombre. Pekin, dont j'ay déja eu l'honneur de vous parler, n'est pas comparable à Nankin, ou, comme on la nomme à present, à Kiamnim, qui avoit autrefois trois enceintes de murailles, à la derniere desquelles on donnoit seize grandes lieuës de circuit. On en voit encore quelques vestiges, & il semble que ce foient plûtost les bornes d'une province que celses d'une ville. Quand les Empereurs y tenoient leur cour, il est certain que le nombre de ses habitans eftoit infini. Sa fituation, son port, la fertilité des terres qui l'environnent, les canaux qui facilitent le commerce, tout cela contribuoit à sa splendeur. Depuis ce temps-là elle a beaucoup déchû de son premier estat; cependant fi l'on compte ses fauxbourgs & les habitans de fes canaux, il s'y trouve encore plus de monde qu'à Pekin. Et quoy que les collines incultes, les terres labourées, les jardins & les vuides confiderables qu'on voit dans son enceinte en diminuent la grandeur; ce qui eft habité fait neanmoins une ville d'irne prodigieufe étenduë. Les ruës en sont mediocrement larges, mais bien pavées; les maisons bafles & propres, les boutiques riches & fournies de toute forte d'étoffes & d'autres ouvrages de prix. Enfin c'est comme le centre de l'Empire où l'on trouve ce qu'il y a de plus rare & de plus curieux dans les autres provinces. C'est là que les Docteurs les plus fameux & les Mandarins hors de charges viennent ordinairement s'établir; les Bibliotheques en font nombreuses, & les livres choifis; l'impreffion plus belle; les ouvriers plus habiles, le langage plus pur & l'accent meilleur que nulle autre part. Enfin il n'y auroit aucune autre ville plus propre à estre le siege ordinaire des Empereurs, si leur prefence n'estoit pas necessaire sur les frontieres, pour s'opposer aux ennemis de l'estat. Il y a encore diverses choses qui la rendent celebre parmi les Chinois. La premiere est le fleuve Kiam sur lequel elle est située, le plus grand, le plus profond & le plus navigable de tous ceux qui arrosent l'Empire dela Chine. Il a vis-à-vis de la ville prés de demi-lienë de large. La seconde est l'Observatoire royal, placé sur une haute colline. On y avoit autrefois pratiqué une plateforme & dreflé des machines propres aux observations; mais les inftrumens ont esté transpo: tez à Pekin, & l'on n'y voit plus que quelques bastimens anciens, & une grande sale quarrée, nouvellement bastie en reconnoiffance de l'honneur que l'Empereur Camhy a fait à la ville de la visiter. Ce fut une adresse dont les Mandarins se servirent pour amasser de l'argent: car sous prétexte d'élever un monument à la memoire de ce Prince, ils tirerent du peuple une somme tres-confiderable, dont ils retinrent pour eux la meilleure part. La troifiéme est la grande Tour, ou la tour de Porcelaine. Il y a hors de la ville & non pas au dedans comme quelques-uns l'ont écrit, un Temple, que les Chinois nomment le Temple de la Reconnoissance *, basti il y a 300. ans par l'Empereur Tonlo; il est élevé sur un massif de brique qui forme un grand perron entouré d'une balustrade de marbre brut; on y monte par un escalier de dix à douze marches, qui regne tout le long. La sale qui fert de temple, a cent pieds de profondeur & porte sur une petite base de marbre haute d'un pied, laquelle en débordant laisse tout au tour une banquette ge de deux. La façade eft ornée d'une galerie & de quelques piliers. Les toitscar selon la coûtume de la Chine il y en a deux, l'un qui naist de la muraille, l'autre qui la couvre) les toits, dis-je, sont de tuiles vertes, luisantes & vernissées, la charpente qui paroist en dedans est peinte & chargée d'une infinité de pieces differemment engagées les unes dans les autres, ce qui n'est pas un petit ornement pour les Chinois. Il est vray que cette forest de poutres, de tirans, de pignons, • de solives, qui regnent de toutes parts, a je ne sçay quoy de fingulier, & de surprenant; parce ce qu'on conçoit qu'il y a dans ces fortes d'ouvrages du travail & de la dépense; quoy qu'au fond cet embarras ne vienne que de l'ignorance des ouvriers qui n'ont encore pû trouver cette belle simplicité qu'on remarque dans nos bastimens & qui en fait la folidité & la beauté. *Pao-gnen-lle. La sale ne prend le jour que par ses portes; il y en a trois à l'orient extremement grandes, par lesquelles on entre dans la fameuse Tour dont je veux parler, & qui fait partie de ce temple. Cette Tour est de figure octogone, large d'environ 40. pieds, de forte que chaque face en a quinze. Elle est entourée par dehors d'un mur de mefme figure éloigné de deux toises & demie, & portant à une mediocre hauteur un toit couvert de tuiles vernissées, qui paroist naistre du corps de la tour & qui forme au dessous une galerie affez propre. La tour a neuf étages, dont chacun est orné d'une corniche de trois pieds à la naissance des fenef tres, & diftingué par des toits semblables à celuy de la galerie; à cela prés qu'ils ont beaucoup moins de saillie, parce qu'ils ne sont pas soûtenus d'un second mur; ils deviennent mesme beaucoup plus petits a mesure que la tour s'éleve & se rétrecit. Le mur a du moins sur le rez de chauffée douze pieds d'épaisseur, & plus de huit & demi par le haut. Il est incrusté de porcelaine posée de champ; la pluye & la pouffiere en ont diminué la beauté, cependant il en refte encore affez pour faire juger que c'est en effet de la porcelaine quoy que groffiere; car il y a apparence que la brique, depuis trois cens ans que cet ouvrage dure, n'auroit pas conservé le mesme éclat. L'escalier qu'on a pratiqué en dedans est petit & incommode, parce que les degrez en sont extrémement hauts; chaque étage est formé par de grosses poutres mises en travers, qui portent un plancher, & qui forment une chambre dont le lambris est enrichi de diverses peintures; si neanmoins les peintures de la Chine sont capables d'enrichir un appartement. Les murailles |