per→ les qui avoient fait les prudes, il en choifit une extrêmement jolie. Il la menoir partout; il lui faifoit mille politeffes, & n'avoit des yeux que pour elle. Tout le monde fut indigné de la préférence qu'il donnoit à une pareille créature, mais fonne n'ofa la lui difputer. On fe contenta d'en rire. Son plan réuffit comme il l'avoit espéré. Il fe rendit le premier à Bath. On ignoroit qu'il eut une maî treffe; il étoit feul, & il eut l'avantage de lier connoiffance avec ceux qui s'y trouvoient. Ceux qui vinrent après futent furpris qu'on le reçût dans les bonneş maifons. On blâina une femme de l'avoir fait; mais toutes firent ce qu'elles avoit vu faire aux autres. La crainte qu'on avoit eue de lui s'évanouit à mesure qu'on le connut ; & depuis ce temps là, Ĉelfe fut regardé fur le même pied que les autres damoiseaux. Tout le monde, à l'exception des perfonnes intéreffées, le foupçonna d'avoir des liaisons dans les familles où il alloit, & fa vanité en fut flattée; il fe crut un perfonnage important, quoique fa vie fut des plus méprifables. J'ai dit ci-deffus qu'il fe rendit à Ranelagh, ce repaire des fainéants, des li bertins & des amoureux, après avoir quitté Lélie: il avoit oublié qu'il devoit y avoir le même foir une mafcarade, & il fut obligé de louer des habits. Il joignit la compagnie;toutes les femmes qu'il trouva méritoient d'être connues, à l'exception d'une feule, & ce fut celle à laquelle il donna la préférence. La nouveauté a des charmes, & il crut voir ceuxlà & beaucoup d'autres dans cette perfonne. Il lui conta mille fornettes, nais elle garda fon férieux. Il avoit envie de l'avoir, mais elle auroit mieux aimé qu'il l'eut laiffée. Il crut avoir réuffi, & elle fe moqua de fa crédulité. Il en devint amoureux, & elle le quitta. la Le plus grand fat que la nature eut jamais formé, rencontra cette fois ci la plus grande de toutes les coquettes. L'objec de fa nouvelle paffion n'étoit autre autre que jeune Lyce, l'admiration & le mépris de toute la ville. Elle avoit eu le même fort parmi les hommes, que Celfe parmi les femmes; je veux dire, qu'elle avoit eu dix mille adorateurs, fans trouver un amant. Quiconque voyoit Lyce l'admiroit; quiconque l'entendoit, étoit ravi, mais on étoit bientôt guéri de fa paffion, dès qu'on la connoiffoit. Elle poffédoit toutes les bonnes qualité de Celfe, & elle en faifoit un auffi mauvais ufage que lui. Elle étoit la plus belle femme du monde, mais à quoi lui fervoit fa beauté ? Les femmes lui portoient envie, ou, pour mieux dire, la haiffoient. Les hommes en étoient charmés; mais comment ? comme ils le font des portraits d'Amptoncourt, qui avec un beau vifage, n'ont aucune fenfibilité. Pendant qu'ils admiroient fes agréments, ils méprifoient fon cœur, & parmi ce petit nombre d'amants modernes qui connoiffent les beautés fupérieures de l'esprit, il n'y en eut pas un qui ne fut outré du mauvais ufage qu'elle en faifoit. Lyce avoit fréquenté les grands. C'étoit à leur école qu'elle avoit appris les premiers rudiments de cette philofophie qui enfeigne que la rufe eft la gardienne de la beauté, que les hommes font des trompeurs, qu'on doit les traiter comme ils le méritent, & les payer de perfidie; que l'amour eft un vain nom, le mariage, une affaire de convenance, & que peu importe de fe marier avec un homme ou avec un autre ; qu'une femme n'eft point maîtreffe maîtreffe de fes paffions, & qu'elle doit par conféquent éviter les occafions d'y fuccomber; que pour éviter d'aimer un homme, elle doit les écouter tous, jufqu'à ce qu'on lui faffe une offre avantageufe, & qu'alors elle doit en profiter, fans égard pour celui qui la lui fait. Nourrie de ces fentiments qu'elle avoit fucés dans fon enfance, avec un cœur naturellement inconftant, un defir de plaire, inconnu même aux beautés du temps, & une vanité qui influoit fur toutes fes actions, Lyce parut fur le théâtre du monde pour être admirée, pour admirer, pour fe marier & obvier au repentir, prévoyant bien que cela feroit néceffaire. Ses charmes ne se bornoient pas feulement à fon vifage. Elle avoit le cou long, & d'une blancheur à éblouir. Ses épaules reffembloient à celles des anciennes ftatues grecques, & jamais femme n'en a eu de fi belles. On l'eut prise pour une ftatue animée, ou une figure faite à plaifir. Ce n'étoit pas affez de la comparer avec ces piéces dans lefquelles l'art a raffemblé les graces de différents fujets, pour en former une beauté; il en auroit fallu plufieurs pour égaler la fienne. Tome II. C On s'écrioit en la voyant marcher, Vera inceffu patuit Dea, fa démarche eft plus qu'humaine. Les femmes lui portoient envie, & les hommes l'idolâtroient. Plus elle se montroit, plus elle donnoit matiere à l'amour des uns, & à la jalousie des autres; en un mot, aucune femme ne l'égaloit. Les étoiles difparoiffoient dès qu'elle fe montroit. Elle étoit aimée & haïe, adorée & méprifée généralement de tout le monde. ; Lyce, avec la figure & le cœur que je viens de dire, avoit fait mille conquêtes, & les avoit abandonnées. Elle avoit fait pendant un été les délices de Bath; Celse, pendant ce temps, ravageoit la ville car ils méditoient tous deux leurs conquêtes, & ils ne s'étoient pas encore rencontrês, fi ce n'eft la nuit qu'ils fe virent à Ranelagh. Tous deux avoient le cœur extrêmement fenfible, & Celfe fit par orgueil & par efprit de vengeance ce que la vanité feule l'auroit porté à faire dans un autre temps. La ftoide, l'infipide L'élie avoit refufé les offres; il vit un objet qui l'emportoit de beaucoup fur elle. Lyce avoua qu'elle fe fentoit de la fympathie pour lui. Ils fe virent, & ils s'aimerent: |